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Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/349

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[corporation]
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nom de collegia, corpora opificum. Au moyen âge, les industriels, les marchands et les ouvriers des villes conservèrent les traditions romaines dans les grandes cités méridionales, et les corporations ne cessèrent d’exister, tandis que dans les villes du nord on ne les voit guère s’établir qu’au moment de l’affranchissement des communes, c’est-à-dire vers le XIIe siècle. Les rois les prirent sous leur protection, comme un des moyens propres à affaiblir la puissance féodale. Sous saint-Louis, elles furent réglementées à Paris par Étienne Boileau[1]. Pour devenir membre d’une corporation, à cette époque, il fallait faire un apprentissage qui durait plus ou moins longtemps, et à l’expiration duquel on devenait maître. Les maîtres exerçaient une sorte de contrôle les uns sur les autres, maintenaient par conséquent le prix de la main-d’œuvre et la bonne qualité des produits. Il ne s’agissait pas alors de libre concurrence, et les marchands ou les industriels des villes ne pouvaient résister à la tyrannie des seigneurs qu’en s’unissant étroitement sous le patronage du suzerain. Ils formaient ainsi des corps puissants avec lesquels il fallait compter, et qui, par leur organisation même, assuraient au suzerain certains revenus régulièrement perçus. Les maîtrises s’obtinrent souvent à prix d’argent, ce qui constituait une ressource pour le trésor ; ou bien encore le roi, moyennant un capital une fois payé, autorisait des corporations qui acquéraient ainsi le droit de percevoir certains impôts sur les entrées des marchandises, des péages sur les rivières, sur les ponts, à l’entrée des ports, etc.

Pour ne pas sortir de notre sujet, les corps de métiers attachés aux bâtiments se composaient, au XIIIe siècle, des charpentiers, des maçons, des tailleurs de pierre, des plâtriers et morteliers, des imagiers, des peintres et tailleurs d’images (sculpteurs), des faiseurs de ponts. Quant aux maîtres des œuvres, à ce que nous appelons aujourd’hui des architectes, ils ne paraissent pas avoir jamais formé un corps ; nous ne pouvons avoir même qu’une idée assez vague de la nature de leurs attributions jusqu’au XVe siècle. Nous voyons qu’on les appelait dans les villes pour bâtir des édifices, et qu’on leur accordait des honoraires fixes pendant la durée du travail (voy. Architecte) ; mais présidaient-ils aux marchés passés avec les divers chefs d’ouvriers ? établissaient-ils des devis ? réglaient-ils les comptes ? Tout cela paraît douteux. Dès la fin du XIIIe siècle, on voit des villes, des abbés ou des chapitres, passer des marchés avec les maîtres des divers corps d’état sans l’intervention de l’architecte. Celui-ci semble conserver une position indépendante et n’encourir aucune responsabilité ; c’est un artiste, en un mot, qui fait exécuter son œuvre par des ouvriers n’ayant avec lui d’autres rapports que ceux de fournisseurs ou de tâcherons vis-à-vis un intendant général. Le système de régie n’était pas habituellement employé ; les ouvriers de chaque métier tra-

  1. Voy. les Règlements sur les arts et métiers de Paris rédigés au XIIIe siècle. Livre des métiers, d’Étienne Boileau. (Coll. de docum. inéd. sur l’hist. de France.)