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l’échelle à la masse. On alla plus loin : au commencement du XIIIe siècle déjà, on garnit les arêtiers de crochets saillants qui, se découpant sur le ciel, donnaient de la vie et plus de légèreté aux lignes rigides des pyramides (voy. Clocher, fig. 63). Nous voyons même que, le long des contre-forts des tours de la cathédrale de Paris, on avait sculpté dans chaque assise un crochet saillant préparant une silhouette dentelée sous les flèches, comme pour mieux relier leurs arêtiers aux angles de ces tours. La flèche de l’église abbatiale de Saint-Denis, bâtie vers 1215, conservait encore ses arêtiers sans ornements ; mais là, on l’élevait sur une tour du XIIe siècle, dont les formes sévères, verticales, ne se prêtaient pas à ces découpures. À ce point de vue, la flèche de Saint-Denis était un chef-d’œuvre. L’architecte qui l’éleva avait su, tout en adoptant une composition du XIIIe siècle, marier, avec beaucoup d’art, les formes admises de son temps avec la structure encore romane d’aspect sur laquelle il venait se planter. Cette flèche donnait une silhouette des plus heureuses ; aussi faisait-elle, à juste titre, l’admiration des Parisiens et des étrangers. Sa destruction, nécessaire pour éviter un désastre, fut considérée comme un malheur public. Il faut bien reconnaître que les flèches de nos églises du moyen âge excitent dans la foule une admiration très-vive et très-sincère. La hardiesse de ces longues pyramides qui semblent se perdre dans le ciel, leur silhouette heureuse, font toujours une vive impression sur la multitude, sensible chez nous à tout ce qui indique un effort de l’intelligence, une idée exprimée avec énergie. Ce sont les provinces françaises qui les premières conçurent et exécutèrent ces édifices faits pour signaler au loin les communes et leur puissance. L’exemple qu’elles donnèrent ainsi, dès le XIIe siècle, fut suivi en Allemagne, en Angleterre, pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles ; mais, quelle que soit la hardiesse et la légèreté des flèches de Fribourg en Brisgau, de Salisbury en Angleterre, de Vienne en Autriche, il y a loin de ces inspirations aux monuments de ce genre qui subsistent encore chez nous, remarquables toujours par la sobriété d’ornements, par l’étude fine des silhouettes et par une entente parfaite de la construction.

Nos lecteurs trouveront opportun probablement de leur donner ici cette flèche célèbre de l’église de Saint-Denis, que nous avons pu étudier avec grand soin dans tous ses détails, puisque la triste tâche de la démolir nous fut imposée. La flèche de Saint-Denis est un sujet d’étude d’autant plus intéressant, que l’architecte a montré, dans cette œuvre, une connaissance approfondie des effets de la perspective, des lumières et des ombres ; que, s’appuyant sur une tour grêle, mal empattée et construite en matériaux faibles, il a su élever une flèche de 38m,50 c. d’une extrême légèreté, afin de ne point écraser sa base insuffisante[1] ;

  1. En effet, on doit attribuer en partie la chute imminente de la flèche de Saint-Denis au supplément de poids qui lui avait été donné, lors de la restauration, par la substitution de la pierre de Saint-Non à la pierre de Vergelé qui, primitivement,