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à Childebert, son neveu, pour lui demander la paix, et le prier de venir le voir. Childebert vint le trouver avec ses grands, et tous deux, s’étant réunis près du pont appelé le Pont de pierre, se saluèrent et s’embrassèrent[1]. » Ce pont était un pont bâti par les Romains. Toutefois ceux-ci, en raison de l’abondance des bois dans les Gaules, durent établir un grand nombre de ponts de charpente qui subsistaient encore pendant les premiers siècles du moyen âge, car les ponts de pierre bâtis par les Romains, encore apparents, sont rares ; s’ils eussent été nombreux, on en trouverait les traces sur nos rivières.

Les Romains établissaient presque toujours des arcs ou portes monumentales, soit aux extrémités des ponts, soit au milieu de leur longueur. Ces arcs étaient devenus, pendant les siècles de paix qui suivirent la conquête définitive du sol des Gaules, plutôt des motifs de décoration que des défenses. Mais dès les premières invasions, ces portes furent munies de crénelages, et peuvent être considérées comme le point de départ de ces châtelets ou forteresses qui garnissaient toujours les ponts du moyen âge, qu’ils fussent de pierre ou de bois.

Il ne nous reste pas de ponts de pierre du moyen âge antérieurs au XIIe siècle[2] ; mais à cette époque on en construisit un assez grand nombre et dans des conditions extrêmement difficiles. Un des plus beaux et des plus considérables est le pont de Saint-Bénezet, à Avignon. La légende prétend qu’un jeune berger, nommé Petit Benoît, né en 1165 dans le Vivarais, inspiré d’en haut, s’en vint à Avignon, en 1178, et fut l’instigateur et l’architecte du pont qui traversait le Rhône à la hauteur du rocher des Doms. De ce pont, il reste encore quatre arches et quelques piles d’une très-remarquable structure. Commencé en 1178, il était achevé en 1188 ; sa longueur est de 900 mètres, et la largeur de son tablier de 4 mètres 90 centimètres, compris l’épaisseur des parapets. Pour résister au courant du Rhône et aux débâcles des glaces, les piles ont 30 mètres d’une extrémité à l’autre, et se terminent en amont comme en aval par un éperon très-aigu. Il faut observer que sur ce point le Rhône est très-rapide et se divise en deux bras : l’un beaucoup plus large que l’autre ; le plus étroit, qui côtoie le rocher des Doms, est d’une assez grande profondeur. Les difficultés d’établissement de ce pont étaient donc considérables, d’autant qu’au moins une fois l’an, les crues du Rhône atteignent en moyenne 5 mètres au-dessus de l’étiage. Sans discuter sur le plus ou moins de réalité de la légende relative au berger

  1. Lib. V, cap. XVIII. Pont-pierre, aujourd’hui Pompierre, est un village sur le Mouzon, près de la Meuse (Vosges).
  2. Dans son ouvrage sur les Droits et usages, M. A. Champollion Figeac cite un pont gothique du XIe siècle, dépendant du château des comtes de Champagne, à Troyes ; mais ce pont, comme le château dont il dépendait, est démoli depuis bien des années, et la reproduction qui en est donnée dans le Voyage archéologique de M. Arnaud est due à l’imagination de cet auteur.