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pés de l’effet architectonique, de la répartition des clairs et des ombres. Ils ont observé que sur une surface, une succession d’ombres vient lui donner de l’importance en contraignant l’œil à s’y arrêter. C’est une façon d’insister sur une forme.

Les architectes du milieu du XIIe siècle ont été certainement les plus habiles traceurs de profils en raison des faibles saillies en œuvre. Ils ont adopté, si l’on peut s’exprimer ainsi, une accentuation. Dans les mots de la langue, l’accent porte sur une syllabe. Si le mot se compose de deux syllabes en français, il est, sauf de rares exceptions, sur la première ; s’il se compose de trois syllabes, il est sur la première ou la seconde ; de quatre, sur la pénultième ou l’antépénultième. Dans le vieux français, qu’il s’agisse de la langue d’oc ou de la langue d’oil, l’accentuation est parfaitement réglée ; c’est l’accentuation qui même indique invariablement les étymologies. Eh bien, dans le tracé des profils de la dernière période romane, à l’époque où l’architecture comme la langue étaient faites, l’accentuation est toujours marquée. Un profil devient ainsi comme un mot : au lieu d’être composé de syllabes, il est composé de membres distincts et son accentuation est réglée. Mais le commencement d’un profil est en raison de sa position : si le profil est une base ou un socle, son commencement est à la partie supérieure qui porte d’abord ; si le profil est un bandeau ou une corniche, son commencement, son premier membre, est à la partie inférieure, qui naît du nu d’un parement. Ainsi (fig. 6), voici en A et B deux profils de base[1] qui se composent chacun de trois membres ; l’accent est sur le second membre, et cet accent est marqué par l’ombre vive qui se projette sur la scotie en a marquera même que pour accentuer davantage ce deuxième membre, dans le profil A, la scotie a été cannelée.

En C et en D sont tracés deux profils de bandeaux et tailloirs[2] ; le premier membre est à la partie inférieure, et l’accent dans ces deux profils composés, l’un de trois membres, l’autre de deux, est sur ce premier membre, accent indiqué par l’ombre vive projetée en b. Dans l’exemple figure 5, le profil (nous allions dire le mot) n’est pas encore formé, et l’accentuation est vague. Dans la formation des mots, le français a procédé habituellement par contraction, en maintenant toujours la syllabe sur laquelle porte l’accent. De dominus il a fait dom, de vice-dominus, vidam, de dominiarium, donger, dangier et danger ; de vasseletus, vaslet, varlet ; de consobrinus, cousin ; de palus, peu, puis pieu ; du verbe cogitare, cuider ; de flebilis, fieble, aujourd’hui faible : d’augurium, heur, d’où malheur ; d’araneœ tela, arentele, vieux mot perdu et qui valait bien toile d’araignée ; de soror, suer (prononcez sœur) au sujet ; de sororem, seror au régime, comme infans donne enfe au sujet, et infantem, enfant, au ré-

  1. Le profil A provient du portail de Notre-Dame de Chartres, XIIe siècle ; le profil B, du vieux clocher de la même église.
  2. Du clocher vieux de la cathédrale de Chartres.