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chez nous pendant le moyen âge, ont procédé de la même façon : cherchant de sentiment ou d’instinct, si l’on veut, les formes qui semblent le mieux s’approprier aux nécessités ; arrivant, par une suite d’expériences, à donner à ces formes une certaine fixité, puis établissant peu à peu des méthodes, et enfin des formules, des lois fondées sur ce sentiment vrai et cette expérience. Alors l’architecte, en prenant son crayon, son compas et ses équerres, ne travaille plus dans le vide à la recherche de formes que sa fantaisie lui suggérera ; il part d’un système établi, procède méthodiquement.

Nous savons tout ce qu’on peut dire contre l’adoption des formules ; mais nous devons constater qu’il n’y a pas eu d’architecture digne de ce nom qui n’ait fatalement abouti à un formulaire. Plus qu’aucun autre peuple, les Grecs ont eu des méthodes conduisant aux formules, et si quelqu’un en doutait, nous l’engagerions à consulter les travaux si remarquables de M. Aurès sur ce sujet[1]. Mais le formulaire architectonique des Grecs ne s’appuie que sur un système harmonique des proportions, développé sous l’influence du sentiment délicat de ce peuple. Ce formulaire, qui commence par une simple méthode empirique, établie par l’expérience, n’est pas une déduction logique d’un raisonnement, c’est un canon, c’est le beau chiffré ; aussi ne peut-il se maintenir plus longtemps que ne se maintiendrait une loi établie sous l’empire d’un sentiment ; il est renversé, ce formulaire, à chaque génération d’artistes. Il n’en est pas de même, en France, sous l’empire des écoles laïques : la méthode, dès l’abord, s’appuie moins sur un sentiment de la forme que sur le raisonnement ; étant logique dans sa marche, elle n’aboutit à une formule que la veille du jour où l’art se perd définitivement. Car, du moment que la méthode atteignait à la formule, toute déduction devenait impossible ; dès lors, au sein d’un art dont l’élément était le progrès incessant, la formule était la mort.

Les exemples de profils déjà présentés à nos lecteurs indiquent une tendance, vague d’abord, puis plus accentuée, vers une méthode géométrique, pour le tracé des divers membres qui les composent.

Le sentiment, mais un sentiment raisonné, a évidemment fait trouver les profils donnés dans les figures 15, 16 et 17. Il s’agissait d’allégir, pour l’œil, des arcs supportant des voûtes élevées, en leur laissant cependant la plus grande résistance possible. Dans les deux figures 16 et 17, il est évident que ces boudins ménagés, comme autant de nerfs, entre des cavets, et ménagés dans les angles saillants, tendent à laisser à la pierre toute résistance en la faisant paraître légère comme le serait un faisceau de baguettes. Le raisonnement est donc intervenu pour beaucoup dans le tracé de ces profils. D’ailleurs, il est non moins évident que l’architecte a soumis son raisonnement à un certain sentiment de la forme, des rap-

  1. Théorie du module, par M. Aurès, ingénieur en chef des ponts et chaussées. — Études des dimensions de la colonne Trajane, par le même ; etc.