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tisme. S’il n’en était pas ainsi, on pourrait soutenir que l’hiératisme, en le supposant arrivé dès l’abord à un point très-élevé, comme en Égypte, est supérieur au progrès, puisqu’il maintient l’art le plus longtemps possible sur ce sommet, tandis que la voie progressive atteint la perfection un jour, pour descendre aussitôt une pente opposée à celle de l’ascension. L’art hiératique est stérile. Ses produits pâlissent chaque jour, à partir du point de départ, pour se perdre peu à peu dans le métier vulgaire, d’où les civilisations postérieures ne peuvent rien tirer. Il est impossible de ne pas être frappé d’étonnement et d’admiration devant les sculptures des premières dynasties égyptiennes. Il semble que cet art si complet, si élevé, dont l’exécution est si merveilleuse, doive fournir aux artistes de tous les temps un point d’appui solide. Il n’en est rien cependant ; cette admiration peut conduire à des pastiches, non à de nouvelles créations. Cet art, si beau qu’il soit, est immédiatement formulé comme un dogme ; on ne peut rien en retrancher, rien y ajouter : c’est un bloc de porphyre. L’art grec, progressiste (qu’on nous passe le mot), est au contraire un métal ductile, dont on peut sans cesse tirer des produits nouveaux. Pourquoi certaines civilisations ont-elles produit des arts fixés, pour ainsi dire, dans un hiératisme étroit ? Pourquoi d’autres ont-elles fait intervenir dans les productions d’art la raison humaine, les passions mobiles, les sentiments, la philosophie, le besoin de la recherche du mieux ?

Cela serait difficile à expliquer en quelques lignes, et nous reconnaissons que le sujet est délicat à traiter. Cependant il est une observation que nous croyons devoir faire ici, d’une manière sommaire, parce qu’elle nous aidera plus tard à expliquer les singulières évolutions de l’art de la sculpture pendant le moyen âge. D’ailleurs, comme nous ne saurions, admettre en ces matières, non plus que dans toute autre, l’intervention du hasard, puisque nous voyons l’effet, la cause doit exister. Quelle est-elle ? Nous croyons l’entrevoir dans les aptitudes propres à certaines races. Remarquons d’abord que toute explosion d’art — et la sculpture est ici en première ligne — ne se produit dans l’histoire qu’au contact de deux races différentes. Il semble que l’art ne soit jamais que le résultat d’une sorte de fermentation intellectuelle de natures pourvues d’aptitudes diverses. Examinons donc d’abord sous quelles influences se développent les arts.

Tous les hommes, ou plutôt toutes les races humaines ne sont pas également portées vers le besoin d’examiner et de comprendre. Aux unes, il suffit de croire et d’ériger les croyances en système ; pour les autres, les croyances ne dépassent jamais une sorte de règle de conduite et ne sont pas aux prises avec les aspirations vers l’inconnu. La philosophie appartient à ces races privilégiées qui examinent, analysent et veulent comprendre pour croire ; à celles-là aussi appartient l’art, tel que les Grecs l’ont développé, tel que nous l’entendons en Occident. Mais, phénomène singulier ! chacune des trois grandes races hu-