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leurs ouvrages (qu’on veuille bien nous passer l’expression) étaient immeubles par destination. L’institution des académies ne pouvait tolérer une pareille servitude : les imagiers, devenus statuaires, ont prétendu travailler chez eux et n’écouter que leur inspiration ; ils ont ainsi pu faire des chefs-d’œuvre à leur aise, mais des chefs-d’œuvre meubles meublants, qu’on achète, qu’on place un peu au hasard, comme on achète et l’on place dans un appartement un objet précieux. Depuis quelques années cependant, on a cherché à rendre à la statuaire une destination fixe, on a tenté de revenir aux anciens errements ; quelques statuaires ont été appelés à travailler sur le tas, c’est-à-dire à exécuter sur le monument même des parties de sculpture, suivant une donnée générale définie, arrêtée. Mais, malgré ces tentatives dont nous apprécions la valeur, l’habitude du travail de l’atelier était si bien enracinée, que ces sculptures semblent, le plus souvent, des hors-d’œuvre, des accessoires décoratifs apportés après coup, et n’ayant avec l’architecture aucuns rapports d’échelle, de style et de caractère. Nous n’avons pas à apprécier ici le plus ou moins de valeur de la sculpture moderne. Nous avons seulement tout d’abord à établir cette distinction entre les œuvres de l’antiquité, du moyen âge et des temps modernes, savoir : que, dans l’art du moyen âge, la sculpture ne se sépare pas de l’architecture ; que la sculpture statuaire et la sculpture d’ornement sont si intimement liées, qu’on ne saurait faire l’histoire de l’une sans faire l’histoire de l’autre.

Cette histoire de la sculpture du moyen âge exige, pour être comprise, que nous jetions un regard rapide sur les œuvres de l’antiquité, lesquelles ont influé sur l’art occidental à dater du XIe siècle, tantôt directement, tantôt par des voies détournées, très-étranges et généralement peu connues.

La sculpture, dans l’antiquité, procède de deux principes différents, qui forment deux divisions principales. Il y a la sculpture hiératique et la sculpture qui, prenant pour point de départ l’imitation de la nature, tend à se perfectionner dans cette voie, et sans s’arrêter un jour, après être montée à l’apogée, descend peu à peu vers le réalisme pour arriver à la décadence. Les peuples orientaux, l’Inde, l’Asie Mineure, l’Égypte même, n’ont pratiqué la sculpture qu’au point de vue de la conservation de certains types consacrés. La Grèce seule s’est soustraite à ce principe énervant, est partie des types admis chez des civilisations antérieures, pour les amener, par l’observation plus sûre et plus exacte de la nature, par une suite de progrès, soit dans le choix, soit dans l’exécution, au beau absolu. Mais, par cela même qu’ils marchaient toujours en avant, les Grecs n’ont pu établir ni l’hiératisme du beau selon la nature, ni l’hiératisme du convenu, d’où ils étaient partis. Après être montés, ils sont descendus. Toutefois, en descendant, ils ont semé sur la route des germes qui devaient devenir féconds. C’est là, en effet, ce qui établit la supériorité du progrès sur le respect absolu à la tradition, sur l’hiéra-