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dant la mettre en parallèle et même au-dessus de la statuaire de la bonne époque grecque, en refusant à cette dernière l’expression des sentiments de l’âme ou plutôt d’un état moral. Non ; nous nous garderons de tomber dans ces exagérations qui ne prouvent qu’une chose, c’est qu’on n’a ni vu, ni étudié les œuvres dont on parle. Les artistes qui, au XVIIe siècle, prétendaient faire de la statuaire expressive, étaient aussi éloignés de l’art du moyen âge que de l’art antique, et le Puget, malgré tout son mérite, n’est qu’un artiste maniéré à l’excès, prenant la fureur pour l’expression de la force, les grimaces pour l’expression de la passion, le théâtral pour le dramatique. De toutes les figures de Michel-Ange, à nos yeux la plus belle est celle du Laurent de Médicis dans la chapelle de San-Lorenzo, à Florence. Mais cette statue est bien loin encore des plus belles œuvres grecques et ne dépasse pas certaines productions du moyen âge. Expliquons-nous. La statuaire n’est pas un art se bornant à reproduire en terre ou en marbre une académie, c’est-à-dire un modèle plus ou moins heureusement choisi, car ce ne serait alors qu’un métier, une sorte de mise au point. Tout le monde est, pensons-nous, d’accord sur ce chapitre ; tout le monde (sauf peut-être quelques réalistes fanatiques) admet qu’il est nécessaire d’idéaliser la nature. Comment les Grecs ont-ils idéalisé la nature ? C’est en formant un type d’une réunion d’individus. De même que, dans un poëme, un auteur peut réunir toutes les vertus qui se trouvent éparses chez un grand nombre d’hommes, mais dont chacun, en particulier, a la conscience sans les pratiquer à la fois ; de même sur un bloc de marbre ou avec un peu de terre, le statuaire grec a su réunir toutes les beautés empruntées à un certain nombre d’individus choisis. La conséquence morale et physique de cette opération de l’artiste, c’est d’obtenir une pondération parfaite, pondération dans l’expression intellectuelle. Par conséquent, si violente que soit l’action à laquelle se livre ce type, si vifs que soient ses sentiments, du moment que l’idéal est admis (c’est-à-dire le beau par excellence, c’est-à-dire la pondération), la grimace, soit par le geste, soit par l’expression des traits, est exclue. Les Lapithes, qui combattent si bien les Centaures sur les métopes du Parthénon, expriment parfaitement leur action, mais ce n’est ni par des grimaces, ni par l’exagération du geste, ni par un jeu outré des muscles. Le geste est largement vrai dans son ensemble, finement observé dans les détails, mais ces hommes ne font point des contorsions à la manière des personnages de Michel-Ange. Si les traits de leurs visages paraissent conserver une sorte d’impassibilité, le mouvement des têtes, un léger froncement de sourcil, expriment la lutte bien mieux que ne l’aurait fait une décomposition des lignes de la face. On ne saurait prétendre que les têtes, malheureusement trop rares, des statues de la belle époque grecque, soient dépourvues d’expression ; elles ne sont jamais grimaçantes, d’accord ; il ne faut pas plus les regarder après avoir vu celles du Puget qu’il ne faut goûter un mets délicat après s’être brûlé le palais avec une venaison