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pimentée. Mais pour retrouver cette expression si fine des types de têtes grecques, il ne s’agit pas de les copier niaisement et de nous encombrer d’un amas de pastiches plats ; mieux vaut alors tomber dans le réalisme brutal et copier le premier modèle venu, voire le mouler, ce qui est plus simple. Est-ce à dire que ces types du beau, trouvés par les Grecs, fussent d’ailleurs identiques, qu’ils aient exclu l’individualité ? Sur les quatre ou cinq têtes de Vénus, réparties dans les musées de l’Europe et qui datent de la belle époque, bien que l’on ne puisse se méprendre sur leur qualité divine, y en a-t-il deux qui se ressemblent ? Parmi ces têtes qui semblent appartenir à une race d’une perfection physique et intellectuelle supérieures, l’une possède une expression de bonté insoucieuse, l’autre laisse deviner, à travers ses traits si purs, une sorte d’inflexibilité jalouse, une troisième sera dédaigneuse, etc. ; mais toutes, comme pour conserver un cachet appartenant à l’antiquité, font songer à la fatalité inexorable, qui jette sur leur front comme un voile de sérénité pensive et grave. Retrouvons-nous ce milieu qui nous permette de reproduire ces expressions si délicates ? Voyons-nous autour de nous des gens subissant ces influences de la société antique ? Les cerveaux d’aujourd’hui songent-ils aux mêmes choses ? Non, certes. Mais nos physionomies ne disent-elles rien ? N’est-il pas possible aux statuaires de procéder au milieu de notre société comme les Athéniens ont procédé chez eux ? Ne peut-on extraire et de ces formes physiques et de ces sentiments moraux dominants, des types beaux qui, dans deux mille cinq cents ans, produiraient sur les générations futures l’effet profond qu’exercent sur nous les œuvres grecques ? Cela doit être possible, puisque cela s’est fait déjà au milieu d’une société qui n’avait nuls rapports avec la société grecque.

Cette école du XIIIe siècle qui n’avait certes pas étudié l’art grec en Occident et qui en soupçonnait à peine la valeur, se développe comme l’école grecque. Après avoir appris la pratique du métier, ainsi que nous l’avons démontré plus haut, elle ne s’arrête pas à la perfection purement matérielle de l’exécution et cherche un type de beauté. Va-t-elle le saisir de seconde main, d’après un enseignement académique ? Non ; elle le compose en regardant autour d’elle. Nous verrons que pour la sculpture d’ornement cette école procède de la même manière, c’est-à-dire qu’elle abandonne entièrement des errements admis, pour recourir à la nature comme à une forme toujours vivifiante. Apprendre le métier, le conduire jusqu’à une grande perfection en se faisant le disciple soumis d’une tradition, quitter peu à peu ce guide pour étudier matériellement la nature, puis un jour se lancer à la recherche de l’idéal quand on se sent des ailes assez fortes, c’est ce qu’ont fait les Grecs, c’est ce qu’ont fait les écoles du XIIIe siècle. Et de ces écoles, la plus pure, la plus élevée est, sans contredit, l’école de l’Île-de-France. Celle de Champagne la suit de près, puis l’école picarde. Quant à l’école rhénane, nous en parlerons en dernier lieu, parce qu’en effet elle se développa plus tardivement.