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l’on peut constater plus particulièrement la science expérimentale des statuaires du moyen âge. Les statues qui garnissent les grands pinacles des contreforts et qui ont plus de 4 mètres de hauteur produisent un effet complétement satisfaisant, vues d’en bas ; si nous les examinons de près, toutes ont les bras trop courts, le col trop long, les épaules basses, les jambes courtes, le sommet de la tête développé en largeur et en hauteur. Cependant la pratique la plus ordinaire de la perspective fait reconnaître que ces défauts sont calculés pour obtenir un effet satisfaisant du point où l’on peut voir ces statues. On ne saurait donner géométriquement les règles que dans des cas pareils les statuaires doivent observer ; c’est là une affaire d’expérience et de tact, car ces règles se modifient suivant, par exemple, que les statues sont encadrées, qu’elles se détachent sur des fonds clairs ou obscurs, sur un nu ou sur le ciel, qu’elles sont isolées ou accompagnées d’autres figures. Ce n’est donc pas à nous à dédaigner les œuvres de ces maîtres qui avaient su acquérir une si parfaite connaissance des effets de la statuaire monumentale et qui ont tant produit dans des genres si divers.

Il est admis que les statuaires du moyen âge n’ont su faire que des figures allongées, sortes de gaines drapées en tuyaux d’orgues, corps grêles sans vie et sans mouvement, terminés par des têtes à l’expression ascétique et maladive.

Un critique, un jour, après avoir vu les longues figures du XIIe siècle de Notre-Dame de Chartres, a fait sur ce thème quelques phrases et la foule de les répéter, car observons qu’en fait d’appréciation des œuvres d’art, rien n’est plus commode que ces opinions toutes faites qui dispensent de s’enquérir par soi-même, cette enquête ne dut-elle demander qu’une heure. Nous avons donné déjà, dans cet article, un assez grand nombre d’exemples de statues qui ne ressemblent nullement à des gaines et de têtes qui n’ont rien moins qu’une expression extatique ou maladive. Que les artistes du moyen âge aient cherché à faire prédominer l’expression, le sentiment moral sur la forme plastique, ce n’est pas douteux et c’est en grande partie ce qui constitue leur originalité, mais ce sentiment moral, empreint sur les physionomies, dans les gestes, est plutôt énergique que maladif, plutôt indépendant et ferme qu’humble ou contrit. On ne saurait nier, par exemple, que les statues qui décorent la façade de la maison des Musiciens, à Reims[1], statues forte nature, n’aient toute la vie que comporte un pareil sujet. Le joueur de harpe (fig. 22), par sa pose, l’expression fine de ses traits, la simplicité charmante du vêtement, est bien loin de ce type banal que l’on prête à la statuaire du XIIIe siècle. Et à propos de cette statue posée à 6 ou 7 mètres au-dessus du pavé d’une rue étroite, nous observerons comment le sculpteur a tenu compte de la place. Vue à son niveau, cette figure a le corps trop développé pour les jambes, mais de la rue, à cause du peu de reculée, les jambes prennent de l’im-

  1. Voyez Maison, figure 11.