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découpée. Ces Occidentaux cependant ne sont pas tous pourvus des mêmes goûts, des mêmes aptitudes. Ce sont des Provençaux, des Languedociens, des Poitevins, des Bourguignons, des Normands, des Auvergnats, des Berrichons. En allant à l’école d’art de la Syrie, ils voient ces monuments à travers des traditions fort appauvries, mais assez vivaces encore pour que, revenus chez eux, les traductions auxquelles ils se livrent prennent des caractères différents. Les uns, comme les Provençaux, copient presque littéralement cette ornementation des édifices syriaques et la placent à côté d’ornements gallo-romains ; d’autres, comme les Normands, inclinent à choisir dans ces décorations les combinaisons géométriques : d’autres encore, comme les Berrichons, font un mélange de ces ornements syriaques et de ceux que les Gallo-Romains ont laissé sur le sol. Les Poitevins, en les imitant, leur donnent une ampleur particulière. Mais toutes ces écoles, sans exception, mêlent bientôt la figure à ces imitations d’ornements byzantins. Cela tient au génie occidental de cette époque ; et, si grossiers que soient ses premiers essais, ils ne tardent guère à se développer d’une manière tout à fait remarquable. L’Italie, beaucoup plus byzantinisée, n’arrive que plus tard à ces compositions d’ornement, dans lesquelles la figure joue un rôle important.

Voyons donc comment procèdent les principales écoles françaises lorsqu’elles prennent pour point de départ les arts de l’Orient, après les grossiers tâtonnements des Xe et XIe siècles.

C’est en Provence que l’imitation de l’ornementation byzantine, bien que partielle, est d’abord sensible. Il est tel édifice de cette contrée dont les bandeaux, les frises, les chapiteaux mêmes, pourraient figurer sur l’un de ces bâtiments de la Syrie centrale. Pour s’en assurer, il n’y a qu’à consulter l’ouvrage que M. Revoil publie sur l’architecture du midi de la France[1]. Nous en donnons ici même un exemple frappant, figure 27, tiré d’une corniche de la petite église de Sainte-Croix, à Montmajour près Arles. Dans un grand nombre de monuments du XIIe siècle, de la Provence, à côté d’un ornement évidemment copié sur la sculpture romano-grecque de Syrie, se développe une frise, se pose un chapiteau, que l’on pourrait croire empruntés à quelques ruines gallo-romaines. Ce mélange des deux arts, ou plutôt des deux branches de l’art romain, dont l’une s’est développée dans les Gaules et l’autre en Syrie sous l’influence grecque, ne donne au total qu’un art médiocre, sans caractère propre, sans originalité. Ce n’est pas là le côté brillant de l’architecture provençale du XIIe siècle. La sculpture d’ornement ne prend pas une allure libre entre deux influences également puissantes. Les cloîtres de saint Trophyme d’Arles, de Montmajour ; les églises de Saint-Gabriel près Tarascon ; de Saint-Gilles, du Thor près Avignon, présentent dans leur sculpture d’ornement ce caractère mixte, hésitant,

  1. Arch. romane du midi de la France, par H. Revoil, architecte. Paris, Morel, 1864.