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envoyait ses architectes, peut-être quelques artistes, mais elle prenait aussi les ouvriers ou artisans de la localité, élevés à une autre école que celle de l’abbaye mère. De là des mélanges de style. Ici un chapiteau toulousain, là un chapiteau poitevin ou saintongeois. Un bas-relief à figures d’une école et l’ornementation d’une autre. On comprend donc quels scrupules, quelle circonspection il faut apporter dans l’examen de ces œuvres du XIIe siècle, si l’on prétend les classer et découvrir sous quelles influences elles se sont produites. Depuis vingt-cinq ans, il a été beaucoup écrit sur l’archéologie monumentale de la France, on n’est pas encore parvenu à s’entendre sur ce qui constitue la dernière période de l’art roman, jusqu’à quel point agit l’influence byzantine, comment et pourquoi elle agit. Plusieurs archéologues en prenant quelques exemples pour le tout, ont prétendu que cet art roman est tout inspiré du byzantin, c’est-à-dire de l’art romano-grec à son déclin. Ceux ci, s’appuyant sur d’autres monuments, ont déclaré que le roman était aborigène, c’est-à-dire né sur le sol français, comme poussent des champignons après la pluie, quelques-uns, considérant, par exemple, certains édifices de la Provence, ont soutenu que le roman n’était que l’art gallo-romain repris et brassé par des mains nouvelles. Ces opinions différentes, en leur enlevant ce qu’elles ont d’absolu, sont justes si l’on n’examine qu’un point de la question, fausses si l’on envisage l’ensemble. Notre roman nous appartient sans nul doute, mais partout il a un père étranger. Ici romain, là byzantin, plus loin nord-hindou. Nous l’avons élevé, nous l’avons fait ce qu’il est, mais à l’aide d’éléments qui viennent tous, sauf le romain, de l’Orient. Et le romain lui-même, d’où est-il venu ? Nous avons vu parfois quelques personnes s’émerveiller de ce que certains chapiteaux du XIIe siècle avaient des rapports de ressemblance frappants avec l’ornementation des chapitaux égyptiens des dernières dynasties. Cependant il n’y a rien là qui soit contraire à la logique des faits. Ces arts partent tous d’une même source commune aux grandes races qui ont peuplé une partie de l’Asie et de l’Europe, et il n’y a rien d’extraordinaire qu’un ornement sorti de l’Inde pour aller s’implanter en Égypte ressemble à un ornement sorti de l’Inde pour aller s’implanter dans l’ouest de l’Europe. Lorsque l’histoire des grandes émigrations aryennes sera bien connue depuis les plus anciennes jusqu’aux plus récentes, si l’on peut s’émerveiller, c’est qu’il n’y ait pas encore plus de similitudes entre toutes les productions d’art de ces peuplades sorties d’un même noyau et pourvues du même génie, c’est qu’on ait fait intervenir à travers ce grand courant une race latine et qu’on ait englobé, Celtes, Kimris, Belges, Normands, Burgondes, Visigoths, Francs, tous Indo-Européens, dans cette race dite latine, c’est-à-dire confinée sur quelques hectares de l’Italie centrale. On aurait beaucoup simplifié les questions historiques d’art, si l’on n’avait pas prétendu les faire marcher avec l’histoire politique des peuples. Une conquête, un traité, une délimitation de frontières, n’ont une action sur les habitudes et les mœurs d’un peuple, et par con-