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[sculpture]
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relations fréquentes ; ces invasions mêmes n’étaient qu’une conséquence des rapports, quelquefois amicaux, plus souvent hostiles, qui s’étaient établis entre les successeurs de Godefroy de Bouillon et les khalifes d’Égypte. En 1153, les chrétiens s’emparaient de la ville d’Ascalon, qui était le boulevard des Égyptiens en face des armées de Syrie. Vers le même temps, une flotte partie des côtes de la Sicile s’empara de la ville de Tanis, non loin de la ville de Damielle. Ainsi les Occidentaux, qui, de la fin du XIe siècle jusque vers 1125, occupaient principalement les villes du nord de la Syrie et de la Syrie centrale, avaient peu à peu étendu leurs possessions, malgré bien des revers, jusqu’en Égypte. Leurs établissements, répartis sur une ligne peu profonde, mais très-allongée, s’étaient trouvés tout d’abord en contact avec les débris des arts gréco-romains et byzantins, puis, plus tard, avec ceux de la Palestine, et enfin de la basse Égypte, c’est-à-dire avec les arts des Sassanides, des khalifes, et même peut-être des Ptolémées. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que les Occidentaux furent en Orient des destructeurs de villes et de monuments bien autrement actifs que ne l’avaient été les Arabes. Ces derniers ne s’attaquaient guère aux édifices, bâtissaient peu, jusqu’au Xe siècle ; enlevaient les richesses et les populations, mais laissaient subsister les monuments. Nous en avons la preuve dans le Haouran. Mais les chrétiens d’Occident, bâtisseurs de forteresses, de remparts, ne laissaient rien debout. Il y a tout lieu de croire qu’il existait bien des édifices en Syrie, en Palestine et dans la partie nord-orientale de l’Égypte, qui furent ainsi renversés pour élever ces châteaux et ces murs dont aujourd’hui encore on trouve des débris si nombreux et si imposants. De précieux monuments pour l’étude de l’archéologie ont dû disparaître ainsi ; mais ces démolisseurs acharnés ne laissaient pas, en Orient, comme partout, de profiter des arts dont ils anéantissaient ainsi les modèles. Il y a, entre l’art de Syrie et celui de l’Égypte antique, une lacune regrettable. Notre sculpture, de 1140 à 1160, est peut-être un reflet affaibli de l’art qui s’éleva entre celui des Ptolémées et celui des Sassanides, puisqu’on retrouve dans nos monuments occidentaux des traces non douteuses de ces arts orientaux. Le mélange a pu se faire chez nous, il est vrai, mais quelques rares fragments en Syrie et dans la partie orientale de la basse Égypte feraient également supposer que cet art de transition existait des bords de la mer Morte aux bouches du Nil.

Il est certain que la sculpture romane d’ornement, vers 1140, dans l’Île-de-France notamment, et en basse Champagne, dans le pays chartrain, n’a plus les caractères gréco-romains ou byzantins si apparents au commencement du XIIe siècle, en Languedoc, en Provence, dans le Lyonnais, une partie de la Bourgogne et de la haute Champagne.

Ce chapiteau (fig. 48), provenant de l’église abbatiale de Saint-Denis[1] n’a de rapports ni avec ceux de Sainte-Sophie de Constantinople, ni avec

  1. Des colonnes monostyles des collatéraux de l’abside.