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quée à l’architecture : « En effet, de récents voyages, des expériences incontestables, ne permettent plus de douter aujourd’hui que la Grèce antique poussa si loin le goût de la couleur, qu’elle couvrit de peintures jusqu’à l’extérieur de ses édifices, et pourtant, sur la foi de quelques morceaux de marbre déteints, nos savants, depuis trois siècles, nous faisaient rêver cette architecture froide et décolorée. On en a fait autant à l’égard du moyen âge. Il s’est trouvé qu’à la fin du XVIe siècle, grâce au protestantisme, au pédantisme, et à bien d’autres causes, notre imagination devenant chaque jour moins vive, moins naturelle, plus terne pour ainsi dire, on se mit à blanchir ces belles églises peintes, on prit goût aux murailles et aux boiseries toutes nues, et si l’on peignit encore quelques décorations intérieures, ce ne fut plus, pour ainsi dire, qu’en miniature. De ce que la chose est ainsi depuis deux ou trois cents ans, on s’est habitué à conclure qu’il en avait toujours été de même, et que ces pauvres monuments s’étaient vus de tout temps pâles et dépouillés comme ils le sont aujourd’hui. Mais si vous les observez avec attention, vous découvrez bien vite quelques lambeaux de leur vieille robe : partout où le badigeon s’écaille, vous retrouvez la peinture primitive… »

Pour clore son rapport sur les monuments des provinces du Nord visitées par lui, M. Vitet, ayant été singulièrement frappé de l’aspect imposant des ruines du château de Coucy, adresse au ministre cette demande, qui aujourd’hui acquiert un à-propos des plus piquants : « En terminant ici ce qui concerne les monuments et leur conservation, laissez-moi, monsieur le ministre, dire encore quelques mots à propos d’un monument plus étonnant et plus précieux peut-être que tous ceux dont je viens de parler, et dont je me propose de tenter la restauration. À la vérité, c’est une restauration pour laquelle il ne faudra ni pierres, ni ciment, mais seulement quelques feuilles de papier. Reconstruire ou plutôt restituer dans son ensemble et dans ses moindres détails une forteresse du moyen âge, reproduire sa décoration intérieure et jusqu’à son ameublement ; en un mot, lui rendre sa forme, sa couleur, et, si j’ose le dire, sa vie primitive, tel est le projet qui m’est venu tout d’abord à la pensée en entrant dans l’enceinte du château de Coucy. Ces tours immenses, ce donjon colossal, semblent, sous certains aspects, bâtis d’hier. Et dans leurs parties dégradées, que de vestiges de peinture, de sculpture, de distributions intérieures ! que de documents pour l’imagination ! que de jalons pour la guider avec certitude à la découverte du passé, sans compter les anciens plans de du Cerceau, qui, quoique incorrects, peuvent être aussi d’un grand secours !

« Jusqu’ici ce genre de travail n’a été appliqué qu’aux monuments de l’antiquité. Je crois que, dans le domaine du moyen âge, il pourrait conduire à des résultats plus utiles encore ; car les indications ayant pour base des faits plus récents et des monuments plus entiers, ce qui n’est souvent que conjectures à l’égard de l’antiquité, deviendrait