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cution, du moment que l’organisation première était bonne, et que l’architecte avait tout prévu d’avance : or, il fallait bien qu’il en fût ainsi, pour que ces rouages pussent fonctionner. Sous ce rapport, il n’y a pas à tirer vanité des progrès que nous avons faits.

C’est au moment de l’épanouissement de l’école laïque, que les animaux, si fréquents dans l’ornementation romane, délaissés dans la sculpture de la fin du XIIe siècle, reparaissent dans la décoration extérieure des édifices. À côté de la flore, ils forment une faune ayant sa physionomie bien caractérisée. Les animaux figurés dans la sculpture de 1210 à 1250 sont de deux sortes : les uns sont copiés sur la faune locale, et sur quelques espèces dont, par luxe, les grands seigneurs gardaient des individus dans leurs palais, tels que lions, panthères, ours, etc. ; les autres appartiennent au règne fabuleux si bien décrit dans les bestiaires. C’est le griffon, la wivre, la caladre, la harpie, la sirène, le basilic, le phénix, le tiris, le dragon, la salamandre, le pérédexion, animaux auxquels ces bestiaires accordaient les qualités ou les instincts les plus étranges. Pourquoi ces animaux réels ou fabuleux venaient-ils ainsi se poser sur les parements extérieurs des édifices, et particulièrement de nos grandes cathédrales ? Il ne faut pas perdre de vue ce que nous avons dit précédemment à propos des tendances de l’école laïque qui élevait ces monuments. Ceux-ci étaient comme le résumé de l’univers, un véritable Cosmos, une encyclopédie, comprenant toute la création, non-seulement dans sa forme sensible, mais dans son principe intellectuel. Là encore nous retrouvons la trace effacée, mais appréciable encore, du panthéisme splendide des Aryas. Le vieil esprit gaulois perçait ainsi à travers le christianisme, et revenait à ses traditions de race, en sautant d’un bond par-dessus l’antiquité gallo-romaine. Le dogme chrétien domine, il est vrai, toutes ces traditions conservées à l’état latent à travers les siècles ; il les règle, il s’en empare, mais ne peut les détruire. Les bestiaires, qui furent si fort en vogue à la fin du XIIe siècle et jusque vers le milieu du XIIIe, au moment même où l’école laïque se développait, ces bestiaires qui se répandent sur nos cathédrales et participent au concert universel, semblent être une dernière lueur des âges les plus antiques de notre race. Tout cela est bien corrompu, bien mélangé des fables de Pline et des opinions de la dernière antiquité païenne, mais ne laisse pas moins percer des traditions locales et beaucoup plus anciennes. Ce n’est point ici le lieu de discuter cette question, nous ne devons nous occuper que du fait : or, le fait, c’est le développement de ces bestiaires à l’extérieur de nos grandes cathédrales, sur ces monuments où tout l’ordre naturel et surnaturel, physique et immatériel, se développe comme dans un livre.

D’après les bestiaires des XIIe et XIIIe siècles, chacun des animaux qui s’y trouvent figurés est un symbole. Ainsi, par exemple le phénix, qui se consume en recueillant les rayons du soleil et renaît de ses cendres, représente Jésus-Christ se sacrifiant sur la croix et ressuscitant le troisième