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jour. Le phénix est décrit par les anciens, mais il est difficile de ne pas reconnaître dans ce mythe l’Agui des Védas. Que parmi tant d’éléments d’art laissés par l’antiquité romaine, l’école laïque du XIIIe siècle ait été recueillir particulièrement ces animaux fabuleux, leur ait donné une forme symbolique, en ait fait des mythes même, en appropriant ces mythes à l’idée chrétienne, n’est-ce point un signe que ces représentations rappelaient des traditions locales encore persistantes ? N’est-il pas naturel que les clercs, reconnaissant la puissance encore vivace de ces traditions, aient cherché au moins à leur donner un sens symbolique chrétien ? n’est-il pas vraisemblable aussi que les évêques qui présidaient à la construction des grandes cathédrales, aient permis la représentation de ces mythes transformés, à l’extérieur des édifices religieux, mais leur aient interdit l’intérieur des sanctuaires, à cause de leur origine douteuse ? Et, en effet, si ces animaux abondent sur les façades des cathédrales du commencement du XIIIe siècle, ils font absolument défaut à l’intérieur, sauf de rares exceptions. Il n’y a pas un seul animal figuré dans les sculptures intérieures de Notre-Dame de Paris, de Notre-Dame d’Amiens. On en rencontre quelques-uns sur les chapiteaux de la nef de la cathédrale de Reims. Or, ces trois églises, et particulièrement celle de Paris, présentent à l’extérieur un monde d’animaux réels ou fantastiques.

Cette faune innaturelle possède son anatomie bien caractérisée, qui lui donne une apparence de réalité. On croirait voir, dans ces bestiaires de pierre, une création perdue, mais procédant avec la logique imposée à toutes les productions naturelles (voy. Animaux). Les sculpteurs du XIIIe siècle ont produit en ce genre des œuvres d’art d’une incontestable valeur, et sans nous étendre trop sur ces ouvrages, nous donnerons ici, comme échantillon, la tête d’une des gargouilles de la sainte Chapelle de Paris (fig. 64), que certes un artiste grec ne désavouerait pas. Il est difficile de pousser plus loin l’étude de la nature appliquée à un être qui n’existe pas.

Vers 1240, il se produit dans la sculpture d’ornement, comme dans la statuaire, un véritable épanouissement. Ainsi les frises, les chapiteaux, les bandeaux, les rosaces, au lieu d’être composés suivant un principe monumental, ne sont bientôt plus que des formes architectoniques sur lesquelles le sculpteur semble appliquer des feuillages ou des fleurs.

L’exemple que nous donne la figure 65, tiré du portail nord de la cathédrale de Troyes, est la dernière limite de l’alliance des compositions régulières avec application de la flore réelle aux détails. Ici ces feuilles se trouvent dans la flore des champs, mais l’agencement de l’ornement appartient à l’artiste. Un peu plus tard, le feuillage sera simplement pris dans la campagne, avec sa tige, et sera appliqué sur le nu du bandeau ou du chapiteau. Dans cette même cathédrale, les chapiteaux des piles du tour du chœur présentent encore la régularité de composition architectonique, avec appoint de feuillage pris sur la nature. Les crochets eux-mêmes, simples bourgeons avant cette époque (1230), sem-