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architecture) des églises d’Amiens et de Beauvais, mais où l’absence de la statuaire se fait remarquer, et où la sculpture d’ornement même est d’une sécheresse et d’une stérilité d’invention peu communes à cette époque. L’imagerie et la symbolique de nos monuments du Nord sont donc bien réellement locales, et prétendre faire dériver ces écoles des Italiens, Lombards ou autres, c’est commettre un singulier anachronisme.

Au point de vue de la pratique de l’art, nos écoles laïques du Nord n’ont pu s’inspirer des écoles lombardes, puisqu’elles sont en avance de près d’un siècle sur celles-ci, comme perfection d’exécution ; elles ne se sont même que bien peu appuyées sur notre art roman, ainsi que le fait ressortir, pensons-nous, notre article sur la statuaire. Quant à la symbolique de ces écoles, elle leur appartient bien en propre. Le silence de Guillaume Durand, plus Italien que Français, prouve qu’à la fin du XIIIe siècle, cette symbolique était ignorée en Italie, et qu’on s’en tenait encore à celle des Byzantins, sans beaucoup la connaître, puisque l’évêque de Mende prétend que les Grecs, par des raisons de convenance, ne peignaient les figures des saints ou des personnages divins que de la tête au nombril, c’est-à-dire en buste. On reconnaît facilement, en lisant le chapitre III du Rationale, que Guillaume Durand partageait l’hésitation de beaucoup de prélats italiens à cette époque, au sujet de l’opportunité ou de la convenance des images, sculptées surtout, dans les églises. Il s’étend longuement sur les passages de l’ancienne Loi et les arrêts des conciles, où les images sont interdites dans les lieux saints ; il reconnaît d’ailleurs que la peinture émeut l’esprit plus que l’écriture. Aussi est-il disposé à l’admettre ; mais la manière vague dont il en parle et le silence presque absolu qu’il garde sur la sculpture, font assez voir qu’il ne se faisait pas une idée nette des grands poëmes de pierre qui recouvrent nos monuments religieux du Nord.

Le succès des bestiaires pendant les XIIe et XIIIe siècles s’explique par cet amour pour le symbolisme qui alors possédait tous les esprits. Ces animaux, réels ou fantastiques, auxquels ces traités attribuent des qualités si étranges, et qui ne sont que des symboles de vertus divines ou des mauvaises inspirations du démon, sont représentés en grand nombre sur nos monuments. Chez le peuple, beaucoup de ces animaux vivaient dans les imaginations dès avant le christianisme. Les légendes qui s’y rattachaient, ou les propriétés qu’on leur prêtait, dataient de loin, et avaient été christianisées déjà par les Pères. Symboles païens, souvent les bestiaires étaient changés en symboles chrétiens. On pourrait citer un certain nombre de ces animaux qui, certainement, avaient leur signification symbolique païenne. Le panthéisme, qui observait la nature avec tant de perspicacité, et qui établissait son système religieux sur cette observation, ne pouvait manquer de faire, dans bien des cas, de l’animal un symbole ; sans compter que, dans l’antiquité, le symbolisme attaché à l’animal allait jusqu’à le rendre sacré, comme le bœuf chez les Égyp-