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Allemagne, en Italie, en Angleterre ou en Espagne, un second exemple de la disposition adoptée pour la construction du château de Vincennes. C’est une tentative isolée qui ne fut pas suivie ; en voici la raison : Alors (de 1365 à 1370)[1] on commençait à peine à employer des bouches à feu d’un assez faible calibre, ou des bombardes de fer courtes, frettées, propres à lancer des boulets de pierre à la volée, ainsi que pouvaient le faire les engins à contre-poids. On ne croyait pas que la nouvelle artillerie à feu remplacerait un siècle plus tard ces machines encombrantes, mais dont le tir était très-précis et l’effet terrible jusqu’à une portée de 150 à 200 mètres. L’artillerie à feu usitée vers la fin du XIVe siècle dans les places consistait en des tubes de fer qui envoyaient des balles de deux ou trois livres au plus, ou même des cailloux arrondis. Ces engins remplaçaient avec avantage les grandes arbalètes, et pouvaient être mis en batterie derrière les merlons des tours. Il y avait donc intérêt à augmenter le relief de ces tours, car le tir de plein fouet étant faible, plus on l’élevait, plus il pouvait causer de dommages aux assiégeants, D’ailleurs, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, il était important de soustraire le sommet de ces tours aux projectiles lancés à la volée par les anciens engins. Les courtines devaient, relativement, n’avoir qu’un relief moindre, afin de poster les arbalétriers, qui envoyaient leurs carreaux de but en blanc à 60 mètres environ. Les machines et bouches à feu des plates-formes des tours couvraient la campagne de gros projectiles dans un rayon de 200 mètres, et tenant ainsi les assiégeants à distance, les courtines se trouvaient protégées jusqu’au moment où, par des travaux d’approche, les assaillants arrivaient à la crête du fossé. Dans ce dernier cas, les arbalétriers des courtines en défendaient l’approche, et ceux des tours prenaient en flanc les colonnes d’assaut par un tir plongeant. Mais bien que les progrès de l’artillerie à feu fussent lents, cependant, à la fin du XIVe siècle, les armées assiégeantes commençaient à mettre des bombardes en batterie. Celles-ci, couvertes par des épaulements et des gabionnades, n’avaient pas à redouter beaucoup les rares engins disposés au sommet des tours, concentraient leur feu sur les courtines relativement basses, écrêtaient leurs parapets, détruisaient leurs mâchicoulis, rendaient la défense impossible, et l’assiégeant pouvait alors procéder par la sape pour faire brèche. Les commandements élevés des tours devenaient inutiles dès que l’ennemi s’attachait au pied de l’escarpe. Vers 1400, on changea donc de système, on éleva les courtines au niveau des tours ; la défense bâtie fut réservée pour l’attaque rapprochée, et en dehors de cette défense on

  1. Le château de Vincennes, dont il existe des restes considérables que nous voyons aujourd’hui, fut commencé par le roi Jean, sur de nouveaux plans ; mais si l’on considère le style de l’architecture, il ne paraît pas que les prédécesseurs de Charles V aient élevé l’ouvrage au-dessus du sol de la place ; si même Charles V n’a pas entièrement repris l’œuvre.