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matiques eurent des foyers puissants à Byzance même, à Alexandrie, et plus tard à Bagdad, et dans les contrées soumises à la domination des kalifes. Les premiers croisés trouvèrent en Syrie des écoles dont ils surent tirer profit, et, dès le commencement du XIIe siècle, l’art de projeter les solides, de développer leurs surfaces, était déjà mis en pratique en Occident. Si les éléments de la géométrie semblent à peine connus des constructeurs carlovingiens, ils sont évidemment familiers aux architectes clunisiens, qui ont élevé la nef de Vézelay vers 1100 ; et, trente ans plus tard, on s’aperçoit, dans la construction du porche de la même église, que ces constructeurs ont, en géométrie descriptive, des connaissances déjà étendues, car toutes les parties de ce porche, et l’appareil notamment, sont tracées avec sûreté et précision. Bien plus, on voit naître, dans les tracés de cette belle école clunisienne, une méthode, non plus empirique comme celle des constructeurs antérieurs du moyen âge, mais appuyée sur un principe qui, à nos yeux du moins, est excellent, puisqu’il est logique et vrai. Nous expliquerons cette méthode en quelques mots. Toute structure est élevée pour remplir un objet, se propose une fin ; il semble donc que ce soit l’objet qui doive imposer les moyens ; ces moyens sont ou doivent être subordonnés essentiellement à l’objet. Une salle, par exemple, a pour objet un espace vide couvert ; c’est ce vide couvert qui est l’objet, et non les piliers ou les murs ; ceux-ci ne sont et ne doivent être que les moyens d’obtenir le vide. Supposons que la salle soit voûtée, c’est la voûte qui couvre l’espace vide, c’est elle qui est la partie essentielle de la structure, parce que c’est elle qu’il s’agit de maintenir en l’air ; c’est donc la voûte, sa forme, son étendue et son poids qui commandent la disposition ; la forme et la résistance des points d’appui. Par déduction logique, la surface à couvrir, et le moyen de la couvrir (soit une voûte) étant donnés, c’est la voûte qu’il s’agit d’abord de tracer, et c’est son tracé qui doit imposer celui des piliers ou des murs. En toute chose, c’est la conclusion à laquelle on veut arriver qui commande les prémisses, et personne ne commencera un livre ou un discours sans savoir, au préalable, ce qu’il veut démontrer.

Une méthode aussi naturelle, aussi simple, aussi logique, ouvrait alors un champ nouveau à l’architecture, comme elle l’ouvrirait encore aujourd’hui, si l’on voulait se donner la peine de l’appliquer avec rigueur et en utilisant les éléments dont nous disposons. Nous disons qu’alors, au XIIe siècle, cette méthode ouvrait un champ nouveau à l’art, parce que, depuis la décadence antique, l’art ne vivait plus que sur des traditions assez confuses et corrompues, traditions dont les éléments étaient oubliés ou incompris, parce qu’on ne se mettait guère en peine, pas plus qu’aujourd’hui, en architecture, de faire concorder les prémisses avec la conclusion, ou les moyens avec l’objet ; on parlait pour parler. Au milieu de cette confusion et de cette ignorance de la pratique de l’art, l’introduction d’une méthode satisfaisante pour l’es-