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prit, facilement applicable, qui ne demandait tout d’abord que des connaissances en géométrie peu étendues, qui d’ailleurs était susceptible de perfectionnements infinis, comme la suite l’a prouvé, et comme on le reconnaît encore quand on veut l’appliquer, devait produire un de ces développements subits signalés de loin en loin dans l’histoire de l’art. C’est ce qui arriva. Heureusement pour ce temps, les monastères clunisiens renfermaient l’élite des intelligences en Occident, et étaient à la tête, par l’enseignement, de toutes les connaissances qui pouvaient alors donner une direction nouvelle aux arts et aux lettres. Si l’on examine les monuments que ces religieux ont élevés pendant la première moitié du XIIe siècle, on constate jusqu’à quel degré ils avaient pu s’assimiler cette architecture dont ils avaient pris les éléments en Syrie, mais aussi comment ils allaient fertiliser ces éléments en les soumettant à une méthode géométrique rigoureusement déduite de l’objet. Dorénavant, dans le tracé de la structure, c’était la chose portée, sa configuration, sa pesanteur, sa position logique, qui allaient imposer les membres et les formes de la chose qui porte. Encore une fois c’était là un progrès, une idée nouvelle, car cette idée n’avait été développée avec cette rigueur, ni chez les Grecs, ni dans les édifices romains. Elle sera encore de nos jours un des éléments de progrès en laissant faire au temps, et en tenant compte des études qui se poursuivent malgré les entraves académiques, parce qu’elle est singulièrement propre à l’emploi des nouveaux matériaux que l’industrie nous fournit.

Il faut dire que pour appliquer rigoureusement la méthode de tracé qu’inauguraient les maîtres, dès le milieu du XIIe siècle ; il fallait que ceux-ci fussent eux-mêmes traceurs, et que les formes de l’architecture fussent combinées en raison des nécessités de la structure. Il fallait qu’ils eussent sans cesse devant les yeux de leur intelligence les moyens pratiques applicables, non-seulement à la partie, mais à l’ensemble. Ils ne se fiaient point à l’opération du ravalement, si commode pour dissimuler des négligences, des oublis ou des erreurs ; car chaque pierre sortie de la main de l’ouvrier devait prendre exactement la place qui lui était destinée, suivant la forme nécessaire et tracée d’avance, pour ne plus être retouchée. Le système de voûte trouvé par ces maîtres, vers 1150, et atteignant si rapidement son développement logique, système dont les éléments étaient entièrement neufs, dérivait d’une méthode de tracé spéciale, rigoureuse dans son principe, mais très-étendue dans ses applications. En étudiant les édifices élevés dans l’ancienne France de 1130 à 1160, on découvre aisément les écoles qu’ont dû faire les constructeurs pendant cette période, les difficultés qui surgissent d’une application encore incomplète de la méthode à suivre, les perfectionnements qui se développent à mesure que ces maîtres entrent plus avant dans l’application vraie du système adopté. C’est ainsi, en effet, que se forme un art, et non par des essais vagues, produits de ce que l’on croit être une inspiration spontanée, ou d’un éclectisme nua-