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retour, l’anéantissement, la nuit, l’oubli, le néant. Il est assez étrange que ces idées se soient fait jour chez des peuples qui se piquent d’être chrétiens, et chez lesquels, en chaire, on montre la mort comme une délivrance, comme la fin des misères attachées à la courte existence terrestre. Les païens, par opposition, ont donné aux monuments funéraires un caractère plutôt triomphal que désolé. Le moyen âge avait conservé cette saine tradition ; les tombeaux qu’il a élevés n’adoptent jamais ces funèbres attributs mis à la mode depuis le XVIe siècle, ces effets théâtrals ou ces froides allégories qui exigent toujours pour être comprises la présence d’un cicerone.

De la mort il ne faut point tant dégoûter les gens, puisque chacun doit subir sa loi ; il ne paraît pas nécessaire de l’entourer de toute cette friperie de mélodrame, disgracieuse et ridicule. C’est à la fin de la renaissance que l’on éleva les premiers mausolées décorés d’allégories funèbres sorties de cerveaux malades : d’os de mort, de linceuls soulevés par des squelettes, de cadavres rongés de vers, etc. L’art du grand siècle ne pouvait manquer de trouver cela fort beau, et le XVIIIe siècle renchérit encore sur ces pauvretés. Ce moyen âge, que plusieurs nous présentent toujours comme maladif, ascétique, mélancolique, ne prenait pas ainsi les choses de la mort, non plus que les Grecs et les Romains. Ceux-ci avaient, comme on sait, l’habitude de brûler les cadavres, ce qui avait beaucoup d’avantages. Le long des chemins qui rayonnaient vers les cités, étaient élevés des tombeaux. Cette disposition seule indique assez que, pour ces païens, la sépulture ne faisait pas naître les idées lugubres qui s’emparent de nous aujourd’hui dans les cimetières. Ces voies des tombeaux, dont les faubourgs de Rome étaient entourés, n’empêchaient pas les gens qui passaient sur les chemins de s’entretenir des sujets les moins graves, sans que pour cela le respect pour les morts fût moins profond. Pendant le moyen âge, les cimetières ne sont pas davantage pris au point de vue lugubre, romantique. Le moyen âge, pas plus que l’antiquité, n’a peur de ses morts. Si les Grecs aimaient à s’asseoir et à deviser au pied d’une tombe placée sur le bord d’un chemin, nos aïeux se réunissaient volontiers dans les cimetières pour traiter de certaines affaires. La nuit, ces enceintes, indiquées par un fanal, servaient au besoin de refuge au voyageur, qui ne songeait point aux revenants, du moins dans nos contrées françaises. Ces cimetières étaient presque toujours entourés d’un portique bas, et c’était sous cet abri que le pauvre et le voyageur attardés, qui ne pouvaient se faire ouvrir les portes de la ville, attendaient le jour.

Nous n’entreprendrons pas la description des cimetières gallo-romains et mérovingiens. Ce travail, fait et bien fait sur une partie de la France par M. l’abbé Cochet[1], nous dispensera de parler des sépultures des premiers conquérants barbares des Gaules, d’autant que ces

  1. La Normandie souterraine, par M. l’abbé Cochet. Paris, 1855.