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maux de la terre que l’Éternel Dieu avoit faits ; il dit à la femme… etc. » Dans cet exemple, il n’est nullement question d’une puissance rivale, de l’Esprit du mal. Le serpent donne un conseil perfide ; il n’est pas dit qu’un esprit ait revêtu sa forme, qu’il y ait un intérêt, qu’il en doive profiter ; aucun esprit ne conseille à Caïn de tuer son frère. L’Éternel, voyant Caïn abattu lorsque son sacrifice est repoussé, lui dit : « Certes, si tu te conduis bien, tu seras considéré ; si tu ne te conduis pas bien, le péché t’assiège à la porte, il veut t’atteindre, mais tu peux le maîtriser[1]. » Pour les Grecs comme pour tous les peuples de race aryenne, le Mal était une force naturelle comme le Bien, force rivale, vaincue nécessairement, mais immortelle, luttant sans trêve, indépendante et vénérée, à cause de sa qualité divine. L’homme n’était qu’un jouet entre ces deux puissances, invoquant l’intervention de la bonne contre les actes de la mauvaise, mais ne croyant pas que sa volonté personnelle pût lutter contre cette dernière. Le panthéisme — nous parlons du panthéisme primitif appuyé sur l’observation des phénomènes naturels, et non du panthéisme énervé et superstitieux des derniers temps — considérait l’action des forces divines comme agissant bien au-dessus de la frêle humanité, comme engageant des luttes et exerçant sa puissance dans une sphère très-supérieure aux intérêts humains. L’homme était fatalement soumis à des décrets dont il ne pouvait pénétrer les motifs, et s’il invoquait les dieux, ce n’était jamais avec l’espoir de leur faire modifier en sa faveur le cours des choses. L’égoïsme sémitique admet que Jéhovah arrête la marche du soleil pour permettre à Josué d’écraser ses ennemis ; on ne trouverait pas une légende analogue dans toute l’histoire religieuse des Aryas. Pour eux, les forces de la nature agissent dans la plénitude de leur puissance indépendante. Une divinité peut lutter contre le soleil, elle ne saurait lui commander d’arrêter son cours.

Ce préambule était nécessaire pour expliquer un phénomène philosophique qui se produit dans l’iconographie chrétienne de l’Occident, vers la fin du XIIe siècle. Alors les artistes, évidemment inspirés par les idées du temps, ne font plus intervenir, absolument, l’Esprit du mal ; ils admettent des qualités bonnes et mauvaises, qualités inhérentes à l’homme ; ils les personnifient. C’est un panthéisme circonscrit dans l’âme humaine au lieu d’avoir pour siège l’univers. Il est évident que le mot panthéisme ici ne peut rendre entièrement notre pensée ; on n’adorait pas la Charité ou le Courage, on les personnifiait ; on leur donnait un corps, des attributs, le nimbe même parfois ; et si l’on ne rendait pas un culte à ces abstractions métaphysiques, la foule arrivait à les considérer comme des forces possédant une apparence sensible, des émanations divines. Il faut observer d’ailleurs que si les vertus sont personnifiées, les vices ne le sont point. Les vices, en opposition avec

  1. Genèse, chap. iv.