Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance (1873-1874), tome 5.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[ ÉPÉE ]
— 368 —

« E Engleterre que il teneit sa cambre ;
« Cunquis l’en ai païs e teres toutes
« Que Carles tient, ki ad la barbe blanche.
« Pur ceste espée ai dulor e pesance,
« Mietz vocill morir qu’entre paiens remaigne.
« Deus pere, n’en laiseit hunir France! »


De nouveau le héros frappe sur la pierre, dont il détache un grand morceau :


« L’espée cruist, ne fruisset ne ne brise,
« Cuntre ciel amunt est resortie. »


Quand Roland voit qu’il ne peut briser cette épée, doucement se dit-il à lui-même : « Ah ! Durendal, comme tu es belle et sainte. En ton pommeau as-tu assez de reliques ?... une dent de saint Pierre, du sang de saint Basile, des cheveux de monseigneur saint Denis, et aussi du vêtement de la vierge Marie. Il n’est pas juste que les païens te prennent. Tu dois appartenir à des chrétiens ; tomberais-tu entre les mains d’un lâche ! Avec toi j’ai conquis bien des provinces que possède Charles à la barbe fleurie. Par toi l’empereur est grand et riche. » Sentant la mort venir, Roland se couche sous un pin, et sur son corps il dépose l’épée et l’olifant, tournant la tête du côté de l’ennemi.

Le baron carlovingien s’adresse à son épée comme les héros de l’Iliade s’adressent à leurs chevaux. L’épée est un compagnon fidèle, aimé. Impuissant à s’en servir, le guerrier ne veut pas qu’elle soit déshonorée par la main d’un ennemi ou d’un lâche.

Ces allocutions à l’épée sont fréquentes dans les poëmes des xiie et xiiie siècle. Quand Ogier le Danois a reconquis ses armes qui lui avaient été volées :


« Il regarda son bon haubere dohlier,
« Sa bone sele et ansdeus estriés,
« Cortain[1] s’espée qi mult fist à prisier :
« — Brans! dist li dux, mult vos doi avoir chier.
« Sus maint païen vos ai fait essaier,
« En mainte coite m’avés eu mestier.
« Trait le du fuerre, mult le vi flambier,
« Or jura Deu qi tot a à jugier :
«  — Senpres au vespre, quant il iert anuitié,
« M’en istrai fors au tref Kallou lanchier ;

  1. Le nom donné à son épée.