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[ ÉPÉE ]
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« Je et mi chevalier acordames que nous iriens sus courre à plusours Turs qui chargoient lour harnois à main senestre en lour ost, et lour courûmes sus. Endementres que nous les chaciens parmi l’ost, je resgardai un Sarrazin qui montoit sur son cheval : unz siens chevaliers li tenoit le frain. Là où il tenoit ses deux mains à la selle pour monter, je li donnai de mon glaive[1] par desous les esseles et le getai mort ; et, quant ses chevaliers vit ce, il lessa son signour et son cheval, et m’apoia, au passer que je fis, de son glaive entre les dous espaules, et me coucha sur le col de mon cheval, et me tint si pressei que je ne pouoie traire m’espée que j’avoie ceinte ; si me convint traire l’espée qui estoit à mon cheval ; et quant il vit que j’oz m’espée traite, se tira son glaive à li et me lessa[2]. »

Ce passage ne laisse aucun doute sur l’usage des deux épées en campagne. Le récit du sénéchal de Champagne est d’une clarté saisissante. Étant poussé par le bois du Sarrasin sur l’arçon de la selle, le visage sur la crinière du cheval, il ne peut faire usage de l’épée qui était suspendue à son flanc gauche, mais peut tirer le branc attaché à l’arçon de devant de la selle.

La figure 10 présente deux de ces épées d’arçon, bonnes pour escrimer à cheval, de taille. Elles sont longues et les lames sont légères. Celle C, que possède le musée d’artillerie de Paris, est fort bonne. Sa lame est allégée par deux cannelures qui n’atteignent pas la moitié de sa longueur (voyez la section de cette lame près du talon, en A). Le pommeau est épais, lourd, afin de faire contrepoids. Cette arme est facile à manier et bien en main. L’épée D, dont la lame est exactement de la même longueur, est plus légère encore que n’est la précédente. La lame n’est allégée que par une seule cannelure (voyez en B la section de cette alemelle près du talon). Le pommeau, en forme de lentille, est bien pondéré avec la lame[3].

La figure 11 montre une épée d’estoc[4], plus courte que ne sont les précédentes et dont l’alemelle, très-forte au talon (voyez la section B), est diminuée jusque près de la pointe, qui est retaillée et aiguë. Si l’on se servait, au besoin, de cette arme à cheval, lorsqu’on ne pouvait plus faire usage de la lance, elle était surtout destinée

  1. Lance.
  2. Histoire de saint Louis par le sire de Joinville, publ. par M. N. de Wailly, p. 78.
  3. Cette belle épée faisait partie de la collection de M. le comte de Nieuwerkerke.
  4. Provenant de la même collection : ces trois épées datent de la fin du xiiie siècle.