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criquet

Tandis qu’il édifie en une pyramide branlante les divers objets qu’il vient de ramasser, enlève péniblement son pardessus et retire ses snow-boots boueux, elle le considère avec une pitié sérieuse. D’ordinaire son professeur lui donne des fous rires qu’il lui faut justifier par les raisons les plus saugrenues. Aujourd’hui elle s’aperçoit que ses épaules sont étroites et voûtées, ses longs membres aux jointures saillantes décharnés, que son visage est osseux et blême. Il n’a guère plus de trente ans, et trente ans, c’est encore jeune. Comme il semble vieux pourtant ! Peut-être a-t-il aussi ses chagrins ?

Mais quand ils se trouvent assis côte à côte, Criquet se demande pour la centième fois pourquoi les cheveux de M. Poiret sont toujours coupés plus haut d’un côté que de l’autre, — est-ce une farce de son coiffeur ? — pourquoi son menton possède à droite une pointe qui ne se trouve pas à gauche, pourquoi surtout un de ses yeux est vert et allongé, l’autre jaune et tout rond ? Avait-il ces yeux en naissant ? Ou bien est-ce venu à la suite d’une maladie, — les convulsions, par exemple ?

Le visage appuyé sur ses deux mains, Criquet regarde au fond des prunelles de M. Poiret avec tant d’intérêt méditatif que celui-ci se trouble, remue nerveusement les jambes sous la table, rencontre ses jambes à elle, recule précipitamment, murmure un nouveau : « Pardon ! », rougit encore, tousse dans sa