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criquet

poir. La vie lui apparut tout à coup affreuse, intolérable.

— Ce n’est pas juste, ce n’est pas juste, répétait-elle, en roulant sa tête dans l’oreiller. Les hommes ont gardé tout le bonheur de la vie… Égoïstes, lâches !

Pour la première fois, elle s’avouait qu’elle était une fille, elle éprouvait de la pitié pour ses pareilles, elle s’associait à elles. Pour la première fois, elle n’admirait plus les garçons.

— Mademoiselle, fit Louise, en passant sa tête par la porte entre-baillée, c’est monsieur Michel qui voudrait vous dire un mot…

Michel ? Aujourd’hui ? Lui qui, la veille, n’avait pas daigné lui accorder une minute ?

— Non ! non ! cria-t-elle. Je ne veux pas le voir !

Mais Michel entrait déjà, bousculant la femme de chambre. Très à l’aise, les mains dans ses poches, l’allure dégagée, la figure fraîche, l’œil vif, il emplissait l’air des accents de sa voix coassante :

— Miss Winnie m’avait défendu d’entrer dans ta chambre, mais j’ai passé par celle de Suzanne. C’est à ton tour maintenant de faire ta poire ? Tu es bien fière parce que tu dors, au lieu de trimer comme le pauvre monde… Et puis sois tranquille, Je ne vais pas moisir ici…

Une pudeur nouvelle et douloureuse emplissait Criquet, pudeur du corps, pudeur de l’âme. Si Michel allait deviner ! Elle ferma la bouche, elle ferma ses