Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
214
criquet

l’effleurement d’une main sur le poignet ou sur le front, le cliquetis de la cuiller contre la tasse et, vers la nuit, quand la lampe n’est pas encore allumée, les flammes roses du feu, dansant en reflets sur le plafond. Elle écoutait passer les heures qui s’en allaient une à une au timbre clair de la pendule et savourait les jours égaux. C’était comme une trêve bienfaisante entre la vie d’hier et celle de demain : nul souci, nul regret, nul désir, la halte serait rapide…

Les paupières abaissées, elle rêvait de choses vagues et héroïques : son navire glissait sur les flots éblouissants, colorés par un ciel d’or et de pourpre : elle était sur le pont, officier, grand, svelte, cambré, le bras tendu vers des rivages fleuris où l’on voyait, entre les arbres chargés de fruits, danser de jeunes négresses. Des cités féeriques, des caravanes bariolées, des fêtes et des combats défilaient ensuite tour à tour devant ses yeux fermés : elle était à la fois le témoin et le héros de ces épopées merveilleuses, oubliant son corps frêle de malade qu’accablait le poids des draps trop chauds.

Tout lui était prétexte à s’évader : le soir, quand la brume de novembre entrait par la fenêtre un instant ouverte, lui apportant les fumées amères et les cris de la ville, elle cachait sous les couvertures son visage frileux, évoquant avec bonheur le grand vent glacial qui hurle autour d’une barque en détresse. Ou bien si son pied fuyait le contact brûlant de la bouillotte, elle