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criquet

les mêmes paroles dont bientôt elle cessait de comprendre le sens. Mais pourquoi sa bouche remuait-elle ?

Dans la rue un tramway s’ébrouait lourdement avec un ronflement nasillard :

« On dirait un bourdon », pensait vaguement Criquet.

Une fleur, un petit corps roux et velu, des odeurs ferventes traversaient sa mémoire. Puis le carré de la fenêtre s’embrumait, les pavots du mur, les dragons de la chaise s’effaçaient, les sons du piano s’évanouissaient… Criquet s’était endormie.


— Prendre un cerceau pour aller à une matinée dansante, c’est bien une idée de Criquet, faisait Michel d’une voix maussade, quelques jours plus tard. Si tu t’en sers, avec tes longues jambes et ton dos rond, tu auras l’air du kangourou boxeur. Et si tu continues à ne pas t’en servir, je voudrais bien savoir pourquoi tu l’as emporté ?

— Je ne le sais pas moi-même, répondit Criquet.

Elle parcourut d’un regard l’avenue large et blanche entre les pelouses givrées, les arbres lointains du Bois dont les branches inscrivaient leurs nervures élégantes sur le ciel gris, vit à son côté Michel, le nez bleui, les traits tirés, les deux mains dans les poches de sa capote de lycéen, miss Winnie, le visage barré par un pan d’étole de fourrure et dont l’aigrette verte scandait d’un hochement chacun des pas allongés et secs ; baissant alors la tête avec un soupir, Criquet