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criquet

comme si on lui piquait le cœur avec une petite pointe.

« Il y a deux ans, Michel appelait Jeanne poseuse, chipie. Comme il la regarde, pourtant ! Moi, son amie, jamais il ne m’a regardée ainsi… Je n’ai pas ces beaux yeux, cette figure lisse et ronde… »

Elle s’aperçoit tout à coup qu’être jolie, c’est tout ce que les hommes exigent des femmes, tout ce qu’ils aiment en elles. Cependant, on vient au monde jolie ou laide. On n’y peut rien. Alors ?

Ce sentiment d’injustice mêlé à sa jalousie confuse, l’irrite et la désole. Et soudain, elle revoit un musée de cire, où on l’avait conduite, étant petite. Sur ce même air de valse, un automate vêtu de velours bleu montrait du doigt, en dodelinant de la tête, son cœur battant dans sa poitrine ouverte.

« C’est là que j’ai mal… », se dit-elle.

Voici, en face, sur la cheminée, un beau chardon sec, aux nuances bleuâtres, comme il en pousse dans le sable de l’île Aulivain… Tiens ! cette nuque blonde dont luisent les poils ras ? Mais c’est Jacques ! Il vient de passer plusieurs mois en Allemagne. Oh ! lui, du moins, sera heureux de la rencontrer, on parlera de Suzanne !

Toute joyeuse, elle se faufile le long du mur, passe derrière le piano où le musicien plaque des accords sauvages, et débouche près de la cheminée. Jacques y est accoudé. Il cause avec une dame en rose, la mère du petit Roger. Elle a des grands yeux