Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
criquet

avait invités, si calme, si muette que j’ai peine à me rappeler le son de sa voix ; elle glisse sur le parquet comme sur du velours, elle passe de pièce en pièce en soulevant de lourdes draperies, elle a supprimé les portes pour éviter le bruit, et elle fait toujours le même geste, un geste qui recommande le silence.

» Il y avait aussi le parc et le pays. Dans notre île, tu te souviens, Michel ? tout est vif, clair, fort, cela donne envie de courir, de sauter, de crier. On se sent comme si on était dix ! À la Rêbière, avec les grandes prairies pleines de brumes, les chemins qui vous enferment sous les feuilles, les arbres qui laissent traîner leurs branches à terre, comme des bras fatigués, l’étang d’huile noire, ses feuilles de nénuphar allongées, endormies, on sent qu’il est inutile de se révolter… Mon chagrin était toujours là, il m’entourait, je vivais avec lui, mais je n’avais plus envie de sangloter… J’étais molle, accablée… Oh ! comme je voudrais pouvoir t’expliquer, Michel !

Jamais elle n’avait parlé si longtemps, avec d’aussi longues phrases. Tout à coup, cessant de regarder le vide, elle se tourna vers son cousin :

— Mais tu ne m’écoutes pas ! fit-elle avec reproche.

— Non, je ne t’écoute pas, c’est vrai, répondit-il d’une voix changée, aux notes chaudes et graves. Je te regarde, je ne cesse de te regarder depuis que je t’ai retrouvée ce matin. Je me demande si c’est bien toi, qui t’asseyais par terre près du piano pour écouter