Page:Viollis - Criquet, 1913.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
51
criquet

Mais voyons, n’as-tu pas de poupée ? Tu es bien grande pour jouer, je le sais, mais si tu l’habillais, ce serait du moins une occupation féminine.

— Une poupée ? répond Criquet, d’un ton morne. Autrefois, j’aimais les casser ; maintenant, ça ne m’amuse même plus…

— Elle n’aime pas, elle n’a jamais aimé les poupées !

Le large visage passe du rouge au pourpre vif.

— … Mais, malheureuse enfant, les poupées sont l’école des mères. Que feras-tu plus tard quand tu auras des petits êtres vivants entre les bras ?

Criquet basse la tête.

— C’est que, tante Éléonore, murmure-t-elle d’une voix hésitante, c’est que je n’aime pas beaucoup les petits enfants non plus : j’ai toujours peur de leur faire mal et je trouve qu’ils sentent le lait tourné.

Le silence s’établit, tragique. Criquet n’ose plus lever la tête ; elle écrase de la pointe du pied une figue qui saigne. La semonce ne viendra-t-elle jamais ? Enfin, elle entend un soupir énorme et une voix caverneuse prononce :

— Pauvre, pauvre petite ! Je t’excuse, car tu ne sais ce que tu dis. Renier l’enfant par lequel les femmes connaissent toutes les joies et toutes les souffrances, l’enfant qui…

— Oh ! tante, interrompt Criquet, ce n’est pas ma faute, mais je voudrais bien ne pas souffrir !…