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criquet

de carrés de liège, des colliers de sardines roulées dans du gros sel, une morue jaunie et, au milieu, un petit bateau noir à filets bleus, au bout d’une ficelle ; le reflet de sa gréure bouge sur le mur blanc et le cuivre de ses menus bossoirs pique l’ombre de points brillants.

Oh ! partir pour six mois au moins dans un navire qui ait des mâts, des échelles de cordes où l’on puisse grimper, — pas un de ces transatlantiques pareils à des maisons, mais un vrai navire qui sente le goudron et le chanvre sec ! Ou encore vivre toujours dans cet îlot, si éloigné de la côte qu’en hiver, pendant les mois de tempête, on manque parfois de pain et de cidre. Avoir peur de mourir de faim, quelle ivresse !

Maurice et Marc dorment, l’un par terre, l’autre la tête appuyée sur la table ; le visage de celui-ci est à demi-caché sous ses boucles et chaque fois qu’il respire, une bulle blanche se gonfle et s’arrondit au coin de sa bouche entr’ouverte. Suzanne cause et rit doucement avec Jacques, près de la fenêtre qui fait dans le mur une bande moins sombre.

Tante Éléonore essuie de son mouchoir l’eau de mer qui a trempé sa robe de soie.

— L’étoffe sera toute jaune demain, gémit-elle, et ce n’est que mon second numéro ! J’avais bien dit ce matin que le temps n’était pas sûr… J’ai le don des pressentiments. Mais personne ne veut jamais m’écouter, personne ! Qu’allons-nous faire ? Où coucherons-nous ?…