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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

m’eût-elle point poursuivie dans mes études, mes veilles et mes rêves et jusqu’à la table du Conseil ? Le souvenir du seul baiser que ma faiblesse lui avait laissé prendre me brûlait encore les lèvres et le sang. Aurais-je eu le courage de ne point le rappeler ? Et alors que serait-il advenu de ta pauvre Christine ?

— Mais qui put vous sauver, mon amie ? J’étais alors près de vous et vous ne m’en avez pas fait confidence.

— Non, je souffrais trop. Écoute ! Tu es la première et sera la dernière personne à entendre ce secret qui, après tant d’années, me meurtrit encore le cœur… Tu connais ma bonne nourrice Anna de Linden ? Sans malice ni esprit, que de fois j’ai rabroué sa tendresse ! Comme de juste, elle n’avait rien deviné de mon amour. Quand je l’informai du départ de Magnus pour la France :

— Je sais des beaux yeux qui vont pleurer, fit-elle en hochant la tête.

— Lesquels ? demandai-je en rougissant.

— Mais ceux de la jeune cousine de Votre Majesté, Marie-Euphrosyne ! Ne le savez-vous pas ? Magnus et elle se connurent dès l’enfance, dans ce château où votre oncle s’était retiré après la mort de sa femme. En grandissant ils se sont aimés. Et lorsque Magnus quitta la Suède pour l’étranger, il y a deux ans, ils se promirent l’un à l’autre.

Un poignard me traversa le cœur.

— Que dis-tu là, nourrice ?

— La vérité, Madame, et bien que Marie m’ait priée de ne rien vous en dire, j’estime qu’il serait cruel de votre part de séparer trop longtemps ces enfants !

— Tu sais, Ebba, que la feinte m’est assez naturelle, reprit Christine après un silence. Dans mon trouble, je n’eus qu’une idée : m’assurer des sentiments de Magnus. Peut-être cet amour enfantin s’était-il dissipé pendant le voyage ? Peut-être encore Magnus avait-il mesuré la distance entre cette petite brebis bêlante, Marie-Euphrosyne, et un esprit et un cœur tels que les miens ? Cette rivale aux cheveux frisottés, aux petits nœuds bleus, non ! C’était trop absurde ! Il ne pouvait hésiter.

— Mais les hommes, hélas ! sont absurdes et même davantage.