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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

gnage de ma sympathie et de ma faveur. J’entends que vous estimiez ceci comme une grâce particulière que je vous accorde à vous et à votre famille.

— Quelle magnanimité !

— Oui, mais attends : par un caprice que je juge aujourd’hui de fort mauvais goût, le soir, après les fêtes et leur fracas, lorsque le marié vint prendre congé de moi pour rejoindre dans la chambre nuptiale son innocente petite brebis, je lui intimai impérieusement l’ordre de me suivre au Palais, en sa qualité de chambellan, et je le conservai aussi longtemps que la bienséance me le permit. J’en rougis encore !

— Tel est le cœur des femmes, Christine !

— Et maintenant que te dire de Magnus que tu ne saches aussi bien que moi ? Brillant, superficiel, incapable de travail, prodigue des deniers publics, il ne justifia en rien la confiance que j’avais mise en lui. Son principal souci fut d’écarter les prétendants possibles à ma main, espérant toujours garder sur moi un empire qu’il ne savait pas mériter. Les intrigues qu’il multiplia contre Charles-Gustave, en particulier, et qui vinrent à la connaissance de ce dernier, ne lui vaudront certes pas la faveur du nouveau roi.

— Charles-Gustave ne l’aime guère, en effet, et cette aversion date de loin. Ils sont si différents !

— Ce n’est pas tout. Un jour, il y a trois ou quatre ans, je trouve sur ma table, posé là par quelque main charitable, un énorme livre français, le pesant, le ridicule fatras que Scudéry, cet impertinent barbouilleur de lettres a intitulé le Grand Cyrus. Trois mille cinq cents pages de ragots, de soupirs, d’indécentes mirlitonades ! Et je m’y reconnais sous le nom grotesque de Cléobuline. J’en suffoquais de rage, mille dieux !

— Vous, Madame ? On avait osé…

— Oui, j’étais là, couchée tout de mon long. Avec mes charmes, mes laideurs, mes faiblesses, mes aveux, mes secrets les plus intimes. Le drôle ! Eût-il été ici, je l’eusse fait bâtonner, jeter dans un cul de basse-fosse avec les rats, les crapauds, les serpents, toutes les bêtes venimeuses ! Quand j’y pense, mon sang en bout encore, mille diables ! Mais qui avait renseigné ce maraud ? Qui, plus coupable que lui, avait clabaudé, bavé, calomnié ?