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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Mais ce portrait est une affreuse caricature, Christine, jamais il ne vous ressembla !

— Si, si ! Il est bien l’expression de mon âme d’alors et du visage que me renvoyaient les miroirs, ces miroirs que je n’osais plus consulter.

— Vous vous calomniez !

— L’orgueil m’avait donc obligée à renoncer à mon amour et à l’amour. C’est encore l’orgueil qui me galvanisa et me rejeta tout entière vers mes devoirs de reine. «Peu après le départ de La Gardie pour Paris, pendant une session de la Diète, j’eus à combattre des velléités de fronde.

« Les États, d’accord avec le Chancelier, voulaient restreindre le pouvoir exécutif, c’est-à-dire mon pouvoir. Je n’y tenais guère. Mais ce sont les grands et nobles féodaux qui voulaient confisquer la plus grande partie de ce pouvoir à leur profit et au détriment du peuple.

« Or c’est toujours sur le peuple, sur les bourgeois des villes et les paysans des campagnes que je me suis appuyée, les ayant trouvés plus droits de sens, plus loyaux de cœur, ayant en souci l’intérêt du pays et non pas le leur.

« J’estime infiniment plus, tu le sais, un homme qui doit sa fortune à ses talents que celui qui n’a eu que la peine de la recevoir de ses ancêtres. Te souviens-tu, par exemple, avec quelle difficulté j’eus à imposer, comme conseiller d’État et comme négociateur en Westphalie, mon secrétaire Salvius qui était sans naissance, et sans appui mais qui y fit merveille ? Quelles intrigues, quelle cabale contre lui, contre moi !… Mais revenons à la Diète et aux menaces de Fronde. Je m’élançai dans la lutte et combattis l’opposition avec tant d’ardeur et de puissance dialectique que la session se termina par d’enthousiastes manifestations de loyalisme à la dynastie et à ma personne. À ce moment-là, ma popularité était immense. Je puis le dire puisqu’elle ne dura pas.

— Ce n’était qu’un cri sur votre éloquence, votre sagesse, votre habileté diplomatique… Et vous n’aviez guère plus de vingt ans !

— C’est vers le même moment aussi que je résolus d’en finir avec Charles-Gustave et ses jérémiades. À peine sentit-il que La Gardie perdait du terrain, qu’il recommença ses pleurnicheries : « Christine,