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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

femme, mon principal but était d’apporter la paix à la chrétienté. Je désirais faire une politique européenne et non obtenir des avantages étroitement nationaux.

— Votre Chancelier, lui, soutenait, je crois, cette politique purement suédoise ?

— Je dus, en effet, lutter pied à pied pour que la Suède renonçât à la Poméranie et se contentât d’une belle indemnité : cinq millions d’écus. Entêté, Oxenstiern ne voulait pas céder. Et ce n’est qu’après d’interminables négociations, des échanges de lettres, de documents, de nombreux achats de conscience que je finis par l’emporter… J’y gagnais l’amitié et le soutien de la France, de l’Espagne et l’applaudissement de l’Europe, lassée de tant de sang versé ! Peu m’importait, d’ailleurs, seul compte pour moi le témoignage de ma conscience. Il faut s’acquitter de son devoir, quoi qu’il puisse en coûter… Mais le temps presse. Laissons là les questions politiques.

— D’autant plus que vous aviez une autre passion, plus tyrannique encore, celle des lettres et des arts, des lettres surtout.

— Après ma déception amoureuse, je fus, comme tu le dis, reprise par les passions intellectuelles qui avaient dévoré mon adolescence. Je me plongeai dans l’étude comme on se plonge dans l’ivresse.

— Je me souviens de la vaste correspondance que vous entreteniez avec tout ce qu’il y a de savants et de lettrés en Europe et particulièrement en France : Scarron, Chapelain, le grand Pascal, Sçudéri avant Cyrus, Mézerai, sans compter tous ces érudits, ces philosophes, ces hommes de science de tous pays que vous attiriez à la Cour de Suède et que vous combliez de prévenances, de faveurs, de pensions, de riches présents : Jean Skytte, le philologue Heinsius, et Boecler, et l’historien Jean Scheffer, les deux Vossius, le père et le fils, aussi vieux, aussi solennellement empesés l’un que l’autre, Daniel Huet qui devint plus tard évêque. J’en passe et combien !

— Tu oublies Saumaize, ce brave érudit qui nous amusa tant.

— Comment l’oublierais-je ? Beaucoup de vos favoris m’ennuyaient fort, je le confesse. Mais je revois encore celui-ci sur son lit, avec son bonnet de nuit de travers, ses besicles, son air empêtré.

— Il était malade. Nous étions allées le visiter dans sa chambre. Il