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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

acariâtre, mes colères plus fréquentes, que les séances du Conseil où je m’opposais violemment à Oxenstiern ne se passaient jamais sans orages…

« Cent fois je me suis alors juré que, si j’avais la chance de survivre, j’abdiquerais.

— Mais vos médecins ?

— Ah ! ces sacrés médecins suédois ! Leur seul remède : un verre d’eau-de-vie avec du poivre pilé au fond. Je me vois ingurgitant cet horrible mélange pour plonger ensuite ma tête dans la cuvette et m’emplir le ventre de grandes lampées d’eau… J’allais donc tout droit vers la mort, ne me levant même plus.

— C’est à ce moment-là, au printemps de 1652, que je fus rappelée auprès de vous. Comme je pleurai en vous voyant si changée ! C’est à peine si vous sembliez vous apercevoir de ma présence et souvent vous me chassiez de votre chambre avec humeur. La Cour était consternée.

— Et c’est alors, ô joie ! que débarqua le cher Bourdelot, mon sauveur. Je dus ce salut à mon vieil ami Chanut qui avait dû quitter la Suède, ce dont je ne pouvais me consoler. « Je vous envoie, m’écrivit-il, de la part de la duchesse de Longueville, sœur de votre héros favori, le prince de Condé, je vous envoie une sorte de magicien qui a fait cent guérisons merveilleuses. C’est un médecin du corps et de l’âme. Vous m’en direz des nouvelles. » Et en effet, dès qu’il parut, avec son sourire épanoui entre ses deux grosses joues en pomme, ses drôles de petits yeux ronds et malicieux, sa voix forte et cordiale…

— Ronde aussi. Tout en lui était rond !

— Aussi, en l’apercevant, éclatai-je de rire. Que me donna-t-il ? À peine si je m’en souviens. Pas grands remèdes en tous cas : des bains tièdes qui firent tomber ma fièvre, des bouillons de pied de veau qui me rafraîchirent le sang, des blancs de poulet qui me nourrirent sans m’alourdir, mais surtout des maximes de sagesse qui me mirent et me gardèrent en joie.

— Ah ! comme elles plaisaient à votre suivante ! Adieu ces discussions philosophiques qui m’ennuyaient si fort ! Bourdelot n’avait que railleries pour ces savants, les Allemands en particulier, qui, par