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le secret de la reine christine

qui ne la désirait même pas. Toutes les douleurs de son adolescence tragiquement ressuscitées, avec la honte de s’être laissée berner. Dix fois elle voulut se jeter par la fenêtre de ce palais. Mais la soif de la vengeance la retint. Malheureuse Christine ! Il ne lui restait plus rien, même pas le souvenir.

Le matin suivant elle était calme, les traits comme pétrifiés.

Elle envoya chercher le Père Le Bel, prieur du couvent voisin des Mathurins, aumônier du roi ! C’était un homme au maintien digne, au regard droit et bon.

— Mon Père, lui dit-elle, je vous ai fait venir pour savoir si les religieux de France savent, comme les Italiens, observer le secret de la confession ?

— Madame, répondit-il, nous autres prêtres sommes en cette matière aveugles et muets. Quant à moi, Dieu m’a fait cette grâce d’effacer incontinent de ma mémoire ce qui m’est confié sous le sceau de la confession. Vous connaissez la parole de l’Evangile : Sacramentum regis abscondere bonum est.

— Parfait, mon Père. Prenez donc ces papiers, conservez-les précieusement et rapportez-les moi dès que je vous les demanderai. Bientôt sans doute.

Et elle lui remit une liasse de lettres cachetées en trois endroits. Le confesseur était convoqué avant l’arrestation du coupable.

Le religieux fut mandé au Palais dès le surlendemain 10 novembre. On le conduisit dans la galerie aux Cerfs, galerie d’une très grande longueur, ornée de tableaux représentant les treize palais royaux, et éclairée par vingt fenêtres en plein cintre. Toute la forêt d’automne, paisible et ensoleillée, entrait par ces fenêtres.

Christine, appuyée sur une longue canne d’ébène comme sur un sceptre funèbre, debout dans une embrasure, riait et plaisantait avec un jeune et élégant cavalier d’une singulière beauté dont les yeux et les dents étincelaient. L’expression de la reine n’avait rien que d’ordinaire, mais une flamme étrange brillait dans ses prunelles.

À l’extrémité de la galerie trois gardes semblaient attendre, la main sur le pommeau de leur épée.

— Soyez le bienvenu, mon Père, dit Christine au religieux, et veuillez me donner les papiers que je vous ai confiés.