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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

200.000… qu’elle ne m’a pas payés d’ailleurs et ne me paiera sans doute jamais. Mais j’étais loin d’y songer ! La joie était partout et, avec le règne, semblait s’ouvrir une ère de prospérité…

Enfin Christine elle-même apparut dans toute sa majesté. Elle était drapée jusqu’aux pieds dans les longs plis de son manteau du sacre, en velours bleu, à palmes d’or et doublé d’hermine, dont le poids ne faisait pas plier ses épaules un peu hautes. Un lourd diadème aux pierreries scintillantes ceignait son front. Elle tenait son sceptre dans la main droite et le globe royal dans la main gauche.

— Peste ! fit Monadelschi à mi-voix, elle a autrement d’allure que le jouvenceau débraillé et dépeigné qui galopait ce matin.

— Plus d’allure, en effet, mais moins de contentement, répondit son ami.

La reine avança jusqu’au centre de l’estrade et tandis que le Conseiller d’État Rosenhane lisait l’acte d’abdication, elle demeura debout, devant son trône, immobile, hiératique et parée comme une idole.

D’une voix monotone, le Conseiller dévidait l’acte qui dépouillait Christine de son titre et de ses prérogatives.

Elle déclarait renoncer irrévocablement au trône en faveur du prince héritier, son cousin Charles-Gustave, se réservant pour elle-même une indépendance et une liberté absolues tant qu’elle n’agirait point contre le pays.

En échange, elle obtenait décharge de toutes les dettes contractées pendant son gouvernement.

— Adieu mes 200.000 thalers ! soupira l’orfèvre. Par contre Sa Majesté ne dédaigne pas d’emporter les bijoux que je lui ai procurés et qu’elle ne m’a payés que d’un sourire ! De même qu’elle a fait maison nette au palais de Stockholm : meubles, tableaux, livres précieux et jusqu’aux tapis et aux tentures, elle a tout fait emballer et expédier à Bruxelles, dit-on. C’est à peine si Charles-Gustave trouvera une paillasse où se coucher !…

— Une fille avisée et qui ne s’embarque point sans provisions de route ! dit Monaldeschi. Écoutons plutôt le grimoire de ce maraud en robe de pourpre !