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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Christine se réservait les revenus des îles d’Oeland, de Gotland et d’Oesel, des villes et des châteaux de Nykoping et de Wolgast, des domaines du duché de Poméranie, des baillages de Neukloster et de Pohl en Mecklembourg et de plusieurs autres lieux…

— Excusez du peu ! commenta le marquis. Voilà qui doit dépasser les 250.000 thalers que, ce matin, le jeune cavalier jugeait nécessaires à sa dignité. Un joli denier pour qui saura lui plaire !

— Il n’est pas si facile de plaire à notre Christine fit, en hochant la tête, Maître Goefle offusqué. Elle pouvait choisir parmi tous les monarques et les princes d’Europe. Et en Suède, à part son cousin, il ne manque pas de beaux cavaliers, aussi riches de thalers que d’aïeux, qui eussent volontiers sacrifié leurs biens et risqué leur vie pour gagner son cœur…

— Il ne faut jurer de rien, mon digne maître. La femme est capricieuse. Dona e mobile ! chantonna l’Italien en souriant.

Mais Christine écoutait-elle cet insipide parchemin qu’elle avait d’ailleurs signé après en avoir âprement discuté les termes ?

Elle s’était assise sur le trône d’argent, toujours immobile et très droite. Ses beaux yeux sombres, seuls vivants dans la pâleur dorée du visage impassible, parcouraient les rangs de cette assemblée, s’arrêtant sur les hommes, mêlés depuis si longtemps à sa vie, dont les traits évoquaient tant de souvenirs, tant de services et de fidélité.

Et tout d’abord le vieux chancelier Axel Oxenstiern, ami dévoué de son grand-père, très cher conseiller et premier ministre de son père et qui avait remplacé ce père auprès d’elle avec une tendresse parfois tyrannique mais si profonde ! Il avait juré de ne point assister à la cérémonie et n’avait pourtant pu se tenir de revoir l’ingrate enfant qui frustrait tous ses espoirs.

Il était là, cassé, affaissé, le nez dans sa barbe, infiniment pitoyable.

Puis Axel Baner, que Gustave-Adolphe avait nommé Gouverneur de Grand Chambellan qu’il était, très bon courtisan, mais éloquent à la manière des Vandales, comme disait Christine, et de peu d’études et de latin. Et le comte de la Gardie, grand connétable du royaume,