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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

La douleur et la joie se mêlaient sur cette large face aux traits forts, au front bas, encadré d’une épaisse et rude chevelure. Mais la joie l’emportait. Grand et robuste, Charles-Gustave avait d’ailleurs fière mine dans ses vêtements de velours que barrait la soie écarlate de l’écharpe royale.

— Pourquoi n’a-t-elle pas épousé ce beau mâle ? murmura le comte Sentinelli à l’oreille de son compagnon.

Celui-ci haussa les épaules, d’un air méditatif.

Mais Christine, remontant les degrés de l’estrade et cette fois toute souriante :

— Encore une minute d’attention, Messieurs, fit-elle. J’ai appris par l’histoire que, jadis en France, chaque fois qu’un roi était couronné à Reims, les marchands d’oiseaux laissaient s’envoler librement cinq mille créatures ailées, afin que l’air fût rempli de leurs chants d’allégresse. En quittant le trône, en prenant moi aussi mon vol, j’ai voulu imiter ce geste symbolique : mon dernier acte de souveraine a fait ouvrir toutes les prisons du royaume afin que le bonheur y règne de toutes parts et que personne n’en soit excepté. Une dernière fois adieu, Messieurs, que la paix et la joie demeurent avec vous !

La robe blanche glissa le long de l’estrade, s’évanouit par la porte où tout à l’heure était entrée la reine dans toute la pompe du pouvoir suprême.

La dernière descendante de l’illustre dynastie des Vasa avait disparu de la scène du monde.

La foule s’écoulait. Les deux gentilshommes italiens se dirigeaient vers l’hospitalier logis du maître orfèvre Larsson.

— Singulière créature ! fit pensivement Monaldeschi qui depuis un instant se taisait.

Puis frappant d’un geste résolu l’épaule de son camarade :

— Elle part cette nuit, Sentinelli ! Nous la suivons. Ou plutôt nous la précédons. Qui sait si ce n’est pas là le début de notre fortune ?