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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Christine entraîna son amie vers la plus grande toile près de la porte. On y voyait un chevalier en cotte de mailles et cuirasse, qui, souriant avec tendresse et le front penché, tenait entre ses gantelets de fer un petit enfant nu.

— Ce géant blond, à la barbe d’or, au teint fleuri, dont les yeux lancent des éclairs, tu le sais, c’est mon père. Tu ne l’as pas connu, Ebba ?

— Non ; mais qui donc en Suède n’a vécu dans l’amour et l’admiration du grand Gustave-Adolphe ?

— On l’appelait le Roi des Neiges. Prompt à la colère, terrible dans le combat, il était bon et juste. S’il eût vécu, combien différent eût été mon destin !

Ebba releva le front et tout bas, d’une voix caressante :

— Ne vous a-t-il point conseillé en rêve de demeurer ici pour le bonheur de la Suède ?

Christine secoua mélancoliquement ses boucles :

— Non, Ebba. Car il n’avait d’illusions ni sur la royauté, ni sur lui-même. N’a-t-il pas écrit « qu’un grand roi est un fléau pour son peuple ? La passion extrême qu’il a pour la gloire lui fait perdre tout repos et l’oblige à l’ôter à ses sujets. C’est un torrent qui désole les lieux par où il passe ».

Il écrivait encore : « C’est dans un moment de colère contre la Suède que Dieu m’a envoyé gagner des batailles. » Pourtant, si la victoire hésitait, il descendait de son cheval et appelait à haute voix le Dieu des armées…

— Qui l’écoutait toujours !

— Et qui lui prouva sa faveur en l’enlevant en pleine victoire, dans toute la splendeur de sa force et de sa jeunesse. Il quitta la scène du monde en héros, laissant l’Europe étourdie du bruit de son génie et de ses vertus.

Ebba dit avec douceur :

— Oui, mais il abandonnait aussi l’enfantelet qui, sur cette toile, repose dans ses bras d’acier comme dans un berceau. Parlez-moi d’elle, Christine, de sa naissance, de son enfance que je n’ai pas connue…