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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

Chancelier, tout vêtu de noir, une collerette blanche sous sa barbiche, fit une entrée solennelle, plié en deux, la main sur le cœur. Quand il commença :

— Comment se porte Votre Majesté… ? le maître et l’élève échangèrent un regard malicieux et Christine se détourna pour rire.

L’après-midi, les bonnes gens des faubourgs de Stockholm, assis devant leurs petites maisons de bois, peintes de blanc et de rouge, virent un garçonnet debout sur ses éperons, les cheveux au vent, la bouche ouverte sur de grands cris joyeux ; il excitait de sa cravache un poney qui, les naseaux fumants, faisait feu des quatre pieds.

— Que Notre Seigneur la garde et nous la conserve ! soupiraient les femmes en se signant. Pour la figure comme pour la hardiesse, n’est-elle pas l’image même de son père, le grand roi Gustave-Adolphe ? Nous avions rêvé d’un prince. Mais pourrait-il être plus beau et plus brave cavalier ?

Les années passaient. Christine étudiait les mathématiques, la théologie, l’histoire, la philosophie, les langues. Elle en connaissait onze et en parlait couramment quatre : le français d’abord et à ravir, l’allemand, l’italien, l’espagnol, sans compter le grec et le latin.

Quand elle était à sa table d’études, rien ne pouvait la distraire, ni le cri des mouettes sur le lac, ni ceux des enfants dans le parc, ni même le son du cor dans la forêt ou les aboiements des chiens.

Sous la direction de Jean Matthiae qui corrigeait les lettres de l’écolière, elle entretenait une correspondance suivie avec les savants et les écrivains d’Europe, lisait leurs ouvrages, se passionnait pour leurs théories, autant que pour les discussions entre professeurs suédois et étrangers de l’Université d’Upsal. Dès qu’un homme se distinguait dans une branche quelconque des lettres, des sciences et des arts :

— Trouvez-lui une place dans le royaume ? suppliait-elle.

Son renom s’étendait au delà des mers et c’est dans toutes les langues qu’on célébrait la sagesse, l’étonnante érudition et la science précoce de la reine-enfant.

Quand elle eut ses treize ans, le Chancelier lui écrivit solennellement :

« Il nous est certes impossible d’exprimer en paroles notre bonheur