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LE SECRET DE LA REINE CHRISTINE

— Pas si vite, pas si vite, Christine !… Vous me faites peur…

— Je t’ordonne de me tutoyer, Ebba ! Par le diable, sommes-nous encore à la Cour ? N’avons-nous pas quitté Stockholm et ses rues étroites, l’air malodorant du Palais et les venimeux commérages des duègnes ?

— Oh ! Christine, je suis ivre de joie ! Respire cet air si pur qui crisse dans les dents comme un sorbet. Regarde ! Tout est si beau ! Ces sommets là-haut qui brillent comme des aiguilles de saphir ; ce torrent suspendu, enchaîné par la glace, ne dirait-on pas une cascade de diamants ? Sur la rive, vois les réseaux enchevêtrés de ronces qui ressemblent à ces ouvrages en verre filé qu’on vous envoya de Venise. Le moindre brin d’herbe porte sa parure de givre et de fête. Et ce beau soleil rouge sur tout cela !… Quelle merveilleuse idée tu as eue !

Les jeunes filles s’arrêtèrent un instant pour contempler le paysage. Christine reprit haleine.

— Oui, je voulais de vraies vacances, tudieu ! fit-elle, sans chambellans, majordomes, dames d’honneur ni protocole. Des vacances comme de vrais écoliers ! J’ai beau être reine, j’ai tout de même vingt ans…

— Tu ne les auras que dans quelques jours, Christine ! Ne te vieillis pas !

— Que fait l’Allemagne, que pense le Danemark, que complote la Pologne ? Ah ! comme je m’en fiche ! Au diable les réceptions à baise-mains, ces mains de garçon auxquelles je n’ai jamais pu donner la blancheur d’albâtre digne d’une reine ! Au diable les Conseils et leurs problèmes, la perruque de Per Brahe et la barbe d’Oxenstiern !

— Il nous a, il est vrai, délégué son fils.

— Triste cadeau ! Vois-le là-bas, exécutant de la pointe de ses patins une figure compliquée sur la glace : on dirait un problème de mathématiques. Quel air comiquement grave ! Avec ses petits bras courts, son pourpoint noir et son jabot blanc, ne dirait-on pas un pingouin ?

— Salvius dit pourtant que c’est l’homme le plus savant en littérature, en philosophie et en droit qu’il ait jamais connu, et qu’il sera le prince des diplomates…