Page:Visan – Lettres à l’Élue, 1908.djvu/161

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rendre au Louvre. On ferait des citations ; on rirait avec retenue. J’aurais grande envie de tous les précipiter dans le gouffre mugissant ; ils seraient pris du même désir à mon endroit. On finirait par s’en aller chacun chez soi, après s’être serré la main et caché avec soin ses sentiments.

Ainsi chacune de mes impressions était entachée de mémoire. Ou bien, lorsqu’il m’arrivait de cueillir une fleur, en même temps que son parfum je respirais une élégie de Desbordes-Valmore. Un tel poids de littérature m’avait accablé qu’à présent, débarrassé de cet odieux fardeau, je pensais encore le porter sur mes épaules. Tous mes soins tendaient donc à être sincère et à sentir sans phrases.

Ce n’est qu’à vous mieux connaître, vous et la nature votre sœur, que j’appris à ne plus faire de phrases, à être vrai, à vivre des émotions conduites à leur paroxysme, jusqu’à la sérénité, à cet état où toutes les facultés s’équilibrent dans leur plus haute tension.