Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/278

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libérale. Les autres devançaient leurs successeurs, les nihilistes actuels, et réclamaient la ruine radicale de notre vieille maison sociale.

L’âme de Dostoïevsky, telle qu’on a déjà pu l’entrevoir, était une proie désignée pour ces entraînements d’idées ; elle leur appartenait par sa générosité, comme par ses chagrins et ses révoltes. Il a raconté longtemps après, dans le Carnet d’un écrivain, comment il fut endoctriné par Biélinsky, comment son protecteur littéraire l’attira au socialisme et voulut le convertir à l’athéisme ; ces pages, écrites en 1873, sont amères et outrées, elles ont eu le tort de venir trop tard, quand la mort avait clos les lèvres qui eussent pu protester.

L’auteur de Pauvres Gens fut bientôt assidu aux réunions inspirées par Pétrachevsky. Il est hors de doute qu’il y prit place parmi les modérés, ou, pour dire plus juste, parmi les rêveurs indépendants : du mysticisme, de la pitié, c’est tout ce qu’il pouvait dégager d’une doctrine politique ; son incapacité pour l’action rendait ce métaphysicien peu dangereux. Le jugement prononcé contre lui par la suite ne relevait que des charges bien vénielles : la participation aux réunions, « à des entretiens sur la sévérité de la censure », la lecture ou seulement l’audition de quelques pamphlets délictueux, le concours éventuel promis à une typographie en projet. Ces crimes d’opinion paraîtront bien légers, surtout si on les balance avec le châtiment rigoureux qu’ils provoquèrent. La police était alors si imparfaite qu’elle ignora pendant deux ans ce qui se tramait dans les cercles des mécontents ; enfin il se trouva un faux frère pour la renseigner. Pétrachevsky et ses amis achevèrent de se