Page:Vogüé - Le Roman russe.djvu/312

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de police, comme un animal sauvage et dompté qui revient par de longs circuits sous le fouet de son maître ; enfin, il avoue, on le condamne. Sonia lui apprend à prier, les deux créatures déchues se relèvent par une expiation commune ; Dostoïevsky les accompagne en Sibérie et saisit avec joie cette occasion de récrire, en guise d’épilogue, un chapitre de la Maison des morts.

Si même vous retiriez de ce livre l’âme du principal personnage, il y resterait encore, dans les âmes des personnages secondaires, de quoi faire penser pendant des années. Étudiez de près ces trois figures, le petit employé Marméladof, le juge d’instruction Porphyre, et surtout l’énigmatique Svidrigaïlof, l’homme qui doit avoir tué sa femme, et qu’un aimant rapproche de Raskolnikof, pour parler de crimes ensemble. Je ne citerai rien, l’ouvrage est traduit, et la version de M. Derély est une des trop rares traductions du russe qui ne soient pas une mystification ; mais s’il est chez nous des romanciers qui soient en peine de grandir les procédés du réalisme sans rien sacrifier de leur âpreté, je signale charitablement à ceux-là le récit de Marméladof, le repas des funérailles, et surtout la scène de l’assassinat ; impossible de l’oublier quand on l’a lue une fois. Il y a pire encore, la scène où le meurtrier, toujours ramené vers le lieu sinistre, veut se donner à lui-même la représentation de son crime ; où il vient tirer la sonnette fêlée de l’appartement, afin de mieux ressusciter, par le son, l’impression de l’atroce minute.

Je devrais d’ailleurs répéter ici ce que je disais plus haut : à mesure que Dostoïevsky accentue sa manière,