Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/263

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servir de leur avantage. Cependant ceux qui, en haine de celuy qui gouverne, haïssent leur propre païs, et qui, pour perdre un homme seul, voudroient que la France se perdist, se moquoient de tous les préparatifs que nous faisions pour remédier à cette surprise. Quand les troupes que nous avions icy levées prirent la route de Picardie, ils disoient que c’estoit des victimes que Ton alloit immoler à nos ennemis ; que cette armée se fondroit aux premières pluyes, et que ces soldats, qui n’estoient point aguerris, fuïroient au premier aspect des troupes espagnoles. Puis, quand ces troupes dont on nous menaçoit se furent retirées et que Ton prit dessein de bloquer Corbie , on condamna encore cette resolution. On disoit qu’il estoit infaillible que les Espagnols l’auroient pourveùe de toutes les choses nécessaires, ayant eu deux mois de loisir pour cela, et que nous consumerions devant cette place beaucoup de millions d’or et beaucoup de milliers d’hommes pour l’avoir peut-estre dans trois ans. Mais, quand on se résolut de l’attaquer par force bien avant dans le mois de novembre, alors il n’y eut personne qui ne criast. Les mieux intentionnez avoûoient qu’il y avoit de l’aveuglement, et les autres disoient qu’on avoit peur que nos soldats ne mourussent pas assez tost de misère et de faim, et que l’on les vouloit faire noyer dans leurs propres tranchées. Pour moy, quoy que je sceusse les incommoditez qui suivent nécessairement les sièges qui se font en cette saison, j’arrestay mon jugement. Je pensay que ceux