Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/270

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et qui avoit fait fortifier le Havre pour s’y jetter à la première mauvaise fortune ? Il n’a pas fait une démarche en arrière pour cela. Il a songé aux périls de l’Estat, et non pas aux siens, et tout le changement que Ton a veu en luy durant ce tempslà est qu’au lieu qu’il n’avoit accoustumé de sortir qu’accompagné de deux cens gardes, il se promena tous les jours suivy seulement de cinq ou six gentils-hommes. Il faut advoùer qu’une adversité soutenue de si bonne grâce et avec tant de force vaut mieux que beaucoup de prosperitez et de victoires. Il ne me sembla pas si grand ni si victorieux, le jour qu’il entra dans la Rochelle, qu’il me le parut alors, et les voyages qu’il fit de sa maison à l’arcenal me semblent plus glorieux pour luy que ceux qu’il a faits delà les monts, et desquels il est revenu avecque Pigneroi et Suze. Ouvrez donc les yeux, je vous supplie, à tant de lumière. Ne haïssez pas plus long-temps un homme qui est si heureux à se venger de ses ennemis, et cessez de vouloir du mal à celuy qui le sçait tourner à sa gloire et qui le porte si courageusement. Quittez vostre party devant qu’il vous quitte. Aussi bien une grande partie de ceux qui haïssoient monsieur le cardinal se sont convertis par le dernier miracle qu’il vient de faire, et, si la guerre peut finir, comme il y a apparence de l’espérer, il trouvera moyen de gagner bien-tost tous les autres. Estant si sage qu’il est, il a connu, après tant d’expériences, ce qui est de meilleur, et il tournera ses desseins à rendre cet Estât le plus florissant de