Page:Voiture - Lettres, t. 1, éd. Uzanne, 1880.djvu/271

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tous, après l’avoir rendu le plus redoutable. Il s’avisera d’une sorte d’ambition qui est plus belle que toutes les autres, et qui ne tombe dans l’esprit de personne, de se faire le meilleur et le plus aimé d’un royaume, et non pas le plus grand et le plus craint. Il connoist que les plus nobles et les plus anciennes conquestes sont celles des cœurs et des affections, que les lauriers sont des plantes infertiles, qui ne donnent au plus que l’ombre, et qui ne valent pas les moissons et les fruits dont la paix est couronnée ; il voit qu’il n’y a pas tant de sujet de louange à estendre de cent lieues les bornes d’un royaume qu’à diminuer un sol de la taille, et qu’il y a moins de grandeur et de véritable gloire à défaire cent mille hommes qu’à en mettre vingt millions à leur aise et en seureté. Aussi ce grand esprit, qui n’a esté occupé jusqu’à présent qu’à songer aux moyens de fournir aux frais de la guerre, à lever de l’argent et des hommes, à prendre des villes et à gagner des batailles, ne s’occupera désormais qu’à restablir le repos, la richesse et l’abondance. Cette mesme teste qui nous a enfanté Pallas armée nous la rendra avecque son olive, paisible, douce et sçavante, et suivie de tous les arts qui marchent d’ordinaire avec elle. Il ne se fera plus de nouveaux edits que pour régler le luxe et pour restablir le commerce. Ces grands vaisseaux qui avoient esté faits pour porter nos armes au delà du destroit ne serviront qu’à conduire nos marchandises et à tenir la mer libre, et nous n’aurons plus la guerre qu’avecque les corsaires. Alors les enne-